Louis XVII : voyage au cœur du mystère
Deux cents vingt ans après la mort de
l’Enfant du Temple, le mystère plane toujours sur le sort du dauphin,
second fils de Louis XVI et Marie-Antoinette, petit garçon qui, entre
quatre et dix ans, vit s’abattre sur lui et sa famille la grande
tourmente de la Révolution. Grégoire Renaud, président de Cyrano.net et
passionné d’Histoire, vous invite à démêler les fils d’une énigme encore
irrésolue.
Un mystère toujours d’actualité
Tout a été dit sur Louis XVII : tout… et
son contraire ! Ce petit prince aux boucles blondes, si fragile et si
beau, élevé dans les palais dorés de Versailles et des Tuileries, choyé
de sa famille, ne paraissait pourtant pas destiné à une courte vie, à la
fois si cruelle et si singulière.
C’était un bel enfant qui fuyait de la terre ;
Son œil bleu du malheur portait le signe austère ;
Ses blonds cheveux flottaient sur ses traits pâlissants ;
Et les vierges du ciel, avec des chants de fête,
Aux palmes du martyre unissaient sur sa tête
La couronne des innocents.
Son œil bleu du malheur portait le signe austère ;
Ses blonds cheveux flottaient sur ses traits pâlissants ;
Et les vierges du ciel, avec des chants de fête,
Aux palmes du martyre unissaient sur sa tête
La couronne des innocents.
Victor Hugo, Louis XVII
Depuis son enfermement dans la Tour du Temple
en 1792 – forteresse médiévale en plein cœur de Paris qui avant la
Révolution servait de demeure au Prieur de l’Ordre de Malte – jusqu’en
ce début de XXIe siècle, les partisans de la mort du Dauphin,
de son évasion ou de sa survivance, continuent leur bataille et
s’affrontent, à grand renfort de livres, d’expertises ADN et de
contre-enquêtes, de colloques et autres communiqués de presse…
Preuve que le mystère passionne toujours
: du salon de province jusqu’à l’Académie, universitaires, historiens
amateurs et lecteurs éclairés ont chacun leur avis sur la question… et
continuent de chercher ! On ne compte plus ainsi les milliers d’heures
consacrées en patientes études, en bibliothèques et dans les salles
d’archives, à la recherche du moindre indice sur le sort du Dauphin.
Chaque année voit fleurir de nouveaux ouvrages sur Louis XVII, qui
forment autant de nouvelles hypothèses à explorer… au point que notre
énigme, à ce jour, a déjà fait l’objet de plus de 800 livres, de
milliers d’articles et d’une dizaine de films… sans pour autant que ce
mystère ne soit définitivement résolu !
Récemment encore, en 2014, Jacques
Soppelsa, universitaire reconnu et président honoraire de la Sorbonne, a
par exemple commis, à mi-chemin entre le livre d’histoire et le roman
policier, un très intéressant petit ouvrage, Louis XVII : la piste argentine… Louis XVII en Amérique du Sud, vous avez dit ?
Les arguments présentés sont plus ou
moins sérieux. Fruits de longues méditations, de savantes analyses ou
d’hypothèses hardies, ils décortiquent l’Histoire, tracent des pistes,
scrutent les évènements et la psychologie des personnages, construisent
des théories, les infirment, les confirment, étudient les rapports
diplomatiques secrets, la pédiatrie et l’autopsie, la graphologie, la
philosophie politique, la grammaire latine, les flux économiques et
financiers sous la Révolution, la contrebande, les crimes inexpliqués,
la mystique…
Il est donc à redouter (ou à applaudir,
c’est selon) que tant que des preuves scientifiques irréfutables
n’auront pas été apportées, le mystère demeurera, et continuera de se
développer… et de nous fasciner !
Plus qu’une nostalgie romantique, un mystère politique
En Histoire, certaines analyses ne vont
pas sans arrière-pensée idéologique ! La question Louis XVII n’échappe
pas à cette règle. Entre survivantistes farouches et héritiers de
Robespierre, légitimistes de tout poil, orléanistes convaincus,
scientistes férus d’ADN et légalistes républicains, amateurs curieux et
doux rêveurs, et tout simplement ceux qui pensent que l’Affaire Louis
XVII ne mérite plus d’être étudiée, et devrait être close … il y a de
quoi en effet se perdre ! Inconsciemment, notre avis sur Louis XVII
dépend en effet de notre vision de l’Histoire et de notre jugement sur
la Révolution et sur son héritage.
Plus qu’une simple nostalgie romantique,
nous nous approchons en réalité d’un mystère politique, qui dépasse le
seul Enfant-Roi et la tourmente révolutionnaire. Ici, nous pressentons
que la disparition de Louis XVII, vraie ou fausse, programmée,
maquillée, entretenue, oubliée, combattue… dissimule une vérité qui – à
la manière d’une éclipse quand le Soleil reparaît à la vue – est
susceptible d’éclairer l’Histoire d’une nouvelle lumière.
Il est remarquable d’observer que le
Premier et le Second Empire, la Restauration, la Monarchie de Juillet,
Vichy et toutes les Républiques qui se sont succédé sont, tous, sans
exception, nés, à leur manière, de l’incapacité du régime politique
précédent à incarner à la fois la France éternelle et l’aspiration des
citoyens à la Liberté. Nul n’a réussi, ni Louis XVIII avec la Charte, ni
Louis-Philippe, ni Napoléon III, ni Poincaré, ni de Gaulle, à unir ces
deux France blessées et rivales. Et aucun de nos dirigeants, même animé
d’un désir sincère d’unité, n’a jamais réussi à effacer cette blessure
intime et profonde, née de la Révolution, imprimée dans les cœurs de
France.
Faisons de notre côté un peu de
politique-fiction… Notre patrie, nous dit-on, est depuis plus de deux
siècles en deuil de son Roi, et souffre d’un mal-être dont elle ne se
remet. Son unité est brisée. Si l’Enfant-Martyr avait survécu et
retrouvé son trône, rejeté par les princes, la Montagne et les
thermidoriens, ayant connu non seulement dans l’exil mais surtout dans
sa chair la Terreur sans-culotte, enfant-symbole d’une France fragile,
capable de pardonner et de dépasser ses errements, notre pays aurait
connu, sans doute, toute autre destinée.
Voilà pourquoi le mystère Louis XVII
attire et continuera de fasciner ! En lui, toutes les espérances
politiques d’une France réconciliée s’éteignent et renaissent ensemble !
Les hypothèses historiques
Quand nous entendons parler de
l’Affaire, dans un café, au coin du feu ou bien un ministère, sur une
bonne feuille ou au retour d’une messe de Requiem, c’est souvent un
voile pudique qui apparaîtra pour désigner l’enfant prisonnier et mort
le 8 juin 1795. Point de Louis XVII, de Dauphin, d’Enfant royal, de
petit prince, de duc de Normandie, on ne murmure le nom que de l’Enfant du Temple…
Est-ce la délicatesse républicaine d’un régime politique qui rougirait
encore d’avoir fait périr un innocent ? Ou un euphémisme coupable, qui
voudrait maladroitement oublier que l’enfant était Roi ? Ou encore
l’aveu d’un doute persistant… parce qu’après tout, dans les tourbillons
passés de l’Histoire, nous ne savons plus très bien si cet enfant mort
au Temple était vraiment Louis XVII… ou pas !
Dès la mort du Roi, le 21 janvier 1793,
la rumeur en effet court et enfle… Le petit prince serait en vie et en
lieu sûr ! Il fait l’objet de tractations secrètes entre Charrette et
les généraux bleus qui négocient la paix en Vendée. Il se serait
échappé, remplacé dans sa prison par un garçon du même âge ! Au-delà du
petit enfant, le Dauphin est un symbole politique avant tout. Pour les
Vendéens et les Royalistes, Louis XVII vivant, c’est leur cœur et leur
espérance qui continuent de battre, mort, les armes sont rendues ; pour
Provence, le futur Louis XVIII, vivant, l’enfant est un obstacle au
trône qui doit lui revenir, mort, il condamne la République qui tue un
innocent. Enfin, pour les Révolutionnaires au pouvoir à Paris, vivant,
le fils Capet reste, en cas de victoire des Coalisés, une assurance pour
leur vie, mort, c’est le symbole que la Royauté n’est définitivement
plus et que la Révolution a gagné.
Publiquement, le Dauphin doit donc
mourir. Ainsi, la Vendée, exsangue et épuisée, ne se battra plus, et les
princes se débarrassent d’un concurrent bien encombrant, quand
Robespierre, Fouché, Barras, dans le secret, veilleront sur l’enfant
substitué dont ils connaissent l’identité, et qui leur servira de
sauf-conduit en cas de retournement politique… Force est de constater
que, pour Robespierre au moins, ce secret bien gardé ne l’aura pas
sauvé !
C’est dans ces conditions, sur fond de
secrets politiques et de complots ourdis, que près de cent dauphins,
célèbres ou ignorés, apparaissent tout au long du XIXe siècle, parfois
contre leur gré. Le plus connu, Naundorff, possède encore ses partisans… et a des descendants !
Parmi les prétendants, il est en effet
celui qui a remporté le plus de suffrages. A son apparition, dans les
années 1830, plusieurs membres de l’ancienne Cour et intimes de la
famille royale l’auraient reconnu : Mme de Rambaud, ancienne
berceuse des Enfants de France, attachée au dauphin, Etienne de Joly, le
dernier ministre de la Justice de Louis XVI, ou encore Jean-Baptiste de
Brémond, ancien secrétaire privé du défunt Roi. Ces témoignages
lanceront sa notoriété, même si pour beaucoup, Naundorff n’est qu’un
aventurier et un brillant imposteur, qui fait sourire, indigne les
royalistes ou fait grincer des dents.
Quant à l’historiographie officielle,
elle retient la mort de l’Enfant du Temple le 8 juin 1795, victime de
scorbut et de mauvais traitements. Pourtant, si à la Restauration, les
messes de Requiem de Louis XVI et de Marie-Antoinette sont célébrées
dans toute la France les 21 janvier et 16 octobre, dates de leurs
décapitations, la famille royale ne se souhaitera jamais organiser une
messe pour le repos de Louis XVII, à l’anniversaire prétendu de sa mort.
Le mystère déjà ?
La preuve par l’ADN : retour sur l’enquête
Ces dernières années, la recherche sur
Louis XVII a connu son lot de surprises et de rebondissements. Tout le
monde se souvient qu’en 1947, Alain Decaux se prononçait dans un petit
livre retentissant, Louis XVII retrouvé, pour l’identité de
Naundorff et du petit Roi. Le vieil académicien s’est rétracté depuis,
même s’il n’écarte pas tout à fait l’hypothèse de la survie du dauphin.
Dans les années 1990, ce sont des batailles d’ADN, qui semblent
démontrer l’imposture de Naundorff. En 2004, les travaux de Philippe Delorme
semblent définitivement écarter la possibilité d’une survie du fils de
Louis XVI et de Marie-Antoinette… L’historien spécialiste des familles
royales européennes a en effet retrouvé la trace du cœur de l’Enfant du
Temple, mis de côté pendant l’autopsie et conservé précieusement pendant
plus de deux cents ans. Portant la trace d’une parenté ADN avec les
Habsbourg, le cœur est identifié avec celui de Louis XVII. Il rejoint
alors en grandes pompes, et sous les vivats d’une foule émue, la
basilique Saint-Denis, vaisseau immobile et sépulcre des Rois.
Pour le grand public, la question Louis
XVII semble définitivement résolue ! L’Enfant n’avait donc pas échappé à
son cruel destin.
Sauf que…
L’Affaire n’est peut-être pas close : en 2014, une nouvelle analyse d’ADN, réalisée par le Pr Gérard
Lucotte, indique qu’Hugues de Bourbon, descendant direct de Nandorff,
présente un chromosome Y « capétien ». A Paris, c’est un étonnement
amusé, d’autant plus que le Pr Lucotte, généticien
mondialement réputé, est, depuis ses recherches sur la Tunique
d’Argenteuil, parfois considéré comme un illuminé ! Mais nous n’en
sommes pas au premier revirement !
En Histoire, la recherche de la Vérité
est un travail lent, parfois ingrat, mais toujours passionnant. Avec
Louis XVII, l’historien travaille sur un champ très exploré, fourmillant
de témoignages, étudié… et finalement assez méconnu. Pourquoi ? Dans ce
poker politique, entre Robespierre et Provence, Barras, Bonaparte,
Charrette, le geôlier Simon, le docteur Pelletan… qui ment, qui dit la
vérité ? Qui joue ? Qui veut la mort du Dauphin, qui souhaite au
contraire qu’il s’échappe et qu’il vive, qui veut le maintenir caché ?
Et des témoins retrouvés après l’Empire, lequel veut se sauver, lequel
est rendu au silence, lequel est digne de confiance, lequel est ignoré ?
Le cœur de Louis XVII : une clef du mystère ?
L’enquête menée dans les années 2000 par
Philippe Delorme a prouvé, par l’ADN, la parenté du cœur déposé à
Saint-Denis avec la Reine Marie-Antoinette et les Habsbourg. Remontant
l’Histoire, elle a remonté l’origine de la relique, conservée depuis la
fin du XIXe siècle au château de Froshdorf, en Autriche, par des
descendants de la famille de Bourbon, jusqu’au médecin légiste qui avait
procédé à l’autopsie de l’enfant mort au Temple, le docteur Pelletan.
Tout s’enchaîne alors logiquement ! La boucle est bouclée : l’Enfant du
Temple, mort le 8 juin 1795, était Louis XVII ! Point de Naundorff ou
d’espoir romanesque d’une survivance ou d’un complot caché !
Pour tous, mis à part quelques irréductibles, la cause est donc entendue, logique !
Et pourtant, les chercheurs du Cercle Louis XVII, menés par Mme Laure de la Chapelle, leur présidente, appuient, dans un document très argumenté, une hypothèse originale, qui milite dans le sens de la réouverture du dossier.
En effet, l’itinéraire du petit cœur
suit, tout au long du XIXe siècle, étrangement, celui du cœur d’un
autre prince, le premier dauphin, son frère aîné, mort en 1789. Embaumé
et déposé dans un cénotaphe au Val-de-Grâce, il fut profané pendant la
Révolution et retiré de l’église, avec d’autres souvenirs de l’Ancien
Régime. A la Restauration, le cœur du premier dauphin est remis à
l’Archevêché de Paris, où il est entreposé sur une étagère, dans la
bibliothèque… C’est le moment où la famille Pelletan remet son propre
cœur (celui de l’Enfant du Temple, autopsié en 1795), à Mgr de Quélen, archevêque de Paris, qui l’accepte, la famille royale doutant, quant à elle, de son authenticité.
Ainsi, les deux cœurs royaux se
retrouvent-ils, pour la première fois, au même endroit. Jusqu’à la
Révolution de Juillet. Les Trois Glorieuses entraînent en effet le
saccage de l’Archevêché, et les deux cœurs, miraculeusement récupérés
dans les décombres du pillage, sont remis, l’un puis l’autre, à deux
branches de la famille Pelletan, héritières du médecin légiste
révolutionnaire. Pendant tout le XIXe siècle, ces deux
branches, qui, pour des motifs de brouille familiale, n’ont aucun lien
entre elles, sont ainsi convaincues de posséder le cœur de l’Enfant du
Temple, donc de Louis XVII. Or, de cœur, il ne peut y en avoir qu’un
seul ! Mais lequel ?
Les héritiers des deux branches Pelletan vont multiplier les démarches pour remettre leurs reliques royales au comte de Chambord puis à ses héritiers Bourbons. Ce qui est fait, et explique que le château de Froshdorf abritera, dès la fin du XIXe
siècle et jusque dans les années 1930 au moins, les deux cœurs supposés
de Louis XVII. Lequel est le vrai, lequel est le faux ? Nous n’en
savons rien, mis à part qu’un cœur reparaît dans les années 1960, remis
par la princesse Massimo, héritière de Froshdorf, au duc de
Beauffremont, représentant des royalistes légitimistes en France.
C’est ce cœur qui servit à l’analyse
ADN, qui permit d’identifier le cœur de l’Enfant du Temple et celui de
Louis XVII, en 2004. Mais si ce cœur, déposé aujourd’hui à Saint-Denis,
était en réalité celui du premier dauphin ? Cela expliquerait pourquoi
l’analyse ADN conclut à la parenté du cœur de Saint-Denis avec les
Habsbourg. Mais si deuxième cœur il y a, où se trouve-t-il ?
Bref, chers lecteurs, voyez-vous, la
question Louis XVII, si passionnante, si romanesque, si incroyable, si
polémique, si historique, si politique aussi, n’est visiblement pas
encore tranchée… Il y a cependant lieu de croire qu’elle le sera dans
les années qui viennent. La généalogie par l’ADN est en effet un sport
de plus en plus performant, et qui permet tous les jours d’entrouvrir de
troublants secrets d’Histoire, et ainsi révéler de curieuses surprises !
Pour les plus curieux, la remarquable émission L’Ombre d’un doute,
présentée par Franck Ferrand et diffusée le 3 novembre 2014 sur France
3, vous permettra d’appronfondir cette épineuse question :
https://youtu.be/WmZGzD3Gc9E
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