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Friday, April 23, 2010

Alain de Benoist-DROITS DE L’HOMME : A LA RECHERCHE D’UN FONDEMENT

DROITS DE L’HOMME : 
A LA RECHERCHE D’UN FONDEMENT 

Alain de Benoist 

Lorsque l’Unesco eut décidé, en 1947, de lancer une nouvelle Déclaration 
universelle des droits de l’homme — celle-là même qui allait être solennellement 
proclamée le 10 décembre 1948 par l’Assemblée générale des Nations-Unies —, 
ses dirigeants entreprirent de procéder à une vaste enquête préalable. A l’initiative 
notamment d’Eleanor Roosevelt, un comité international fut constitué afin de 
recueillir l’opinion d’un certain nombre d’« autorités morales ». Environ 150 
intellectuels de tous les pays se virent ainsi demander de déterminer la base 
philosophique de la nouvelle Déclaration des droits. Cette démarche se solda par un 
échec, et ses promoteurs durent se borner à enregistrer des divergences 
inconciliables entre les réponses obtenues. Aucun accord n’ayant pu se dégager, 
la commission des droits de l’homme de l’ONU décida de ne pas publier les 
résultats de cette enquête. 
Dans sa réponse, Jacques Maritain s’était déjà montré sans illusions, déclarant 
qu’en ce qui concerne les droits de l’homme « un accord pratique est possible, 
[mais] un accord théorique est impossible entre les esprits ». Il est pourtant évident 
qu’il  est difficile de parler de droits de l’homme sans une conception précise de 
l’homme censé être porteur de ces droits. Or, aucun consensus n’a jamais pu 
s’établir sur ce point. Faute d’être parvenu à un accord, on décida donc de 
renoncer à justifier ce que l’on voulait affirmer. Les auteurs de la Déclaration 
universelle en rédigèrent le texte dans une vision consensuelle ne correspondant 
pas à la réalité. « La Déclaration, constate François Flahaut, devait être acceptée 
par tous à la condition que personne ne demande ce qui la justifie. Cela revenait à 
l’imposer d’autorité » (1). 
René Cassin avait coutume de dire que les droits de l’homme reposent « sur un 
acte de foi dans l’amélioration de l’avenir et du destin de l’homme ». Un tel « acte
de foi » se justifierait donc par ses finalités. « Ces fins, écrit Julien Freund, nous les 
posons comme normes, donc nous les affirmons dogmatiquement comme valables 
et dignes d’être recherchées ; elles n’ont pas le caractère apodictique d’une 
proposition scientifique » (2). Il en résulte que la conception de l’homme sur 
laquelle repose la théorie des droits relève, non de la science, mais de l’opinion. De 
ce seul fait, à l’instar d’une religion — toute croyance ne vaut que dans l’exacte 
mesure où l’on y croit —, ils ne peuvent avoir qu’une validité optative, c’est-à-dire 
qu’ils ne s’imposent que pour autant que l’on accepte de les voir s’imposer, 
qu’ils n’ont d’autre validité que celle que l’on décide de leur accorder. « Toute 
réflexion cohérente sur les droits de l’homme, dit encore Julien Freund, ne peut 
partir que du fait fondamental suivant : ils n’ont pas été établis scientifiquement, 
mais dogmatiquement » (3). « Les droits de l’homme, ajoute François De Smet, ne 
peuvent échapper à leur qualification d’idéologie. A ce titre, ils sont exposés à la 
critique » (4). 
La définition même de l’homme dont parle la théorie des droits est moins 
évidente qu’il y paraît. La preuve en est que bien des « droits de l’homme » n’ont 
été étendus que progressivement aux femmes et à diverses autres catégories de 
populations humaines (5). On peut rappeler, à titre de symbole, que les deux pays 
occidentaux qui  ont le plus longtemps maintenu en vigueur l’institution de 
l’esclavage, la France et les Etats-Unis, sont aussi ceux qui furent les premiers à 
proclamer les droits de l’homme. Plusieurs des rédacteurs de la Déclaration 
américaine des droits de 1776 étaient d’ailleurs eux-mêmes des propriétaires 
d’esclaves. 
Il n’existe pas non plus de consensus doctrinal ou philosophique quant à la 
définition des droits. « Une sorte de flou enveloppe la notion même de droits 
fondamentaux », reconnaît le juriste Jean Rivero (6). Lorsque l’on parle d’un 
« droit de l’homme », veut-on dire que ce droit possède possède une valeur 
intrinsèque, une valeur absolue ou une valeur instrumentale ? Qu’il est d’une telle 
importance que sa réalisation doit l’emporter sur toute autre considération, ou qu’il 
compte seulement parmi les choses indispensables ? Qu’il donne un pouvoir ou un 
privilège ? Qu’il  permet de faire ou qu’il  confère une immunité ? Autant de 
questions, autant de réponses. 
Les critiques de la théorie des droits en ont souvent souligné le caractère flou, 
mais aussi contradictoire. Taine écrivait par exemple, à propos de la Déclaration de 
1789 : « La plupart des articles ne sont que des dogmes abstraits, des définitions 
métaphysiques, des axiomes plus ou moins littéraires, c’est-à-dire plus ou moins 
faux,  tantôt  vagues et  contradictoires,  susceptibles de plusieurs sens et 
susceptibles de sens opposés, bons pour une harangue d’apparat et non pour un 
usage effectif, simple décor, sorte d’enseigne pompeuse, inutile et pesante... » (7). 
Des propos analogues se retrouvent sous la plume de tous les auteurs de la 
Contre-Révolution. 
Qu’il  y ait toujours eu désaccord sur la portée et le contenu des droits de
l’homme ne saurait être contesté. L’art. 2 de la Déclaration de 1789, par exemple, 
fait  du droit  de « résistance à l’oppression » l’un des droits naturels et 
imprescriptibles (8). Kant, au contraire, nie l’existence d’un tel droit et va jusqu’à 
prôner le devoir d’obéissance aux dictatures (9). Il justifie ce refus en affirmant que 
le droit ne peut et ne doit jamais s’effectuer que par le droit, ce qui signifie qu’un 
état juridique n’est possible que par soumission à la volonté législatrice d’un Etat. 
(Le droit naturel s’inverse ici brusquement en droit positif). La Déclaration de 1789 
stipule aussi, à la façon de Locke, que le droit de propriété est « inviolable et 
sacré ». La Déclaration de 1948 se garde bien de reprendre cette formule à son 
compte. La plupart des défenseurs des droits des peuples dissocient peuple et Etat, 
ce qui est indispensable si l’on veut défendre les droits des minorités. Mais Hans 
Kelsen, théoricien de l’Etat de droit, refuse expressément cette distinction. Le 
principe de non-rétroactivité des lois, tenu en 1789 pour un droit imprescriptible, a 
été abandonné s’agissant  des « crimes contre l’humanité ».  La liberté 
d’expression, garantie sans condition aux Etats-Unis au titre des droits de 
l’homme, ne l’est pas en France, autre « patrie des droits de l’homme », au motif 
que certaines opinions ne méritent pas d’être considérées comme telles. Il est 
également possible aux Etats-Unis de vendre son sang, alors que le droit français 
rend nul tout contrat onéreux portant sur un produit du corps humain. On pourrait 
multiplier les exemples. 
Les droits de l’homme peuvent aussi se révéler contradictoires entre eux. D’une 
façon générale, il est fréquent que les droits relevant de la liberté positive entrent en 
contradiction avec ceux qui relèvent de la liberté négative : le droit au travail, par 
exemple, peut avoir pour obstacle le droit de propriété ou le droit de libre initiative. 
La loi française garantit depuis 1975 le droit à l’avortement, mais le texte des lois 
sur la bioéthique adoptées le 23 juin 1994 à l’Assemblée nationale interdit les 
expériences sur l’embryon en alléguant la nécessité d’un « respect de l’être 
humain dès le commencement de la vie ». Si l’on estime que l’embryon n’est pas 
encore un être humain, on voit mal pourquoi il serait interdit d’expérimenter sur lui. 
Si l’on estime qu’il en est un, on voit mal comment justifier l’avortement. 
Comment démêler dans ces conditions les « vrais » droits des « faux » ? 
Comment empêcher que les « droits de l’homme » ne deviennent une expression 
passe-partout, simple flatus vocis n’ayant que le sens, toujours changeant, qu’on 
leur attribue en telle ou telle circonstance ? Jean Rivero observe pour sa part que 
« le paradoxe majeur du destin des droits de l’homme depuis deux siècles est sans 
doute le contraste entre le dépérissement de leurs racines idéologiques et le 
développement de leur contenu et de leur audience à l’échelle universelle ? » (10). 
C’est une autre façon de dire que plus s’étend le discours des droits de l’homme, 
et plus s’accroît l’incertitude touchant à leur nature et à leurs fondements. 
Or, cette question des fondements se pose de nos jours avec une acuité toute 
particulière. C’est en effet seulement à date récente, comme le dit Marcel Gauchet, 
que la problématique des droits de l’homme « a fini par sortir des livres pour se 
faire histoire effective » (11). A partir du XIXe siècle, la vogue de la théorie des droits
de l’homme avait été ralentie, voire suspendue, sous l’influence des théories 
historicistes, puis des doctrines révolutionnaires. Penser en termes de mouvement 
de l’histoire, en termes de progrès, conduisait nécessairement à relativiser 
l’importance du droit. En même temps, l’avènement du temps de l’histoire 
entraînait un certain discrédit de l’intemporalité abstraite caractérisant un « état de 
nature » d’où procéderaient les droits. La chute des régimes totalitaires, le 
dépérissement  des espérances révolutionnaires,  la crise de toutes les 
représentations de l’avenir,  et notamment  de l’idée de progrès,  ont très 
logiquement coïncidé avec un retour en force de l’idéologie des droits. 
Historiquement, à partir de 1970, les droits de l’homme ont d’abord été opposés 
au système soviétique. Depuis l’effondrement de ce dernier — par une remarquable 
coïncidence, l’année de la chute du Mur de Berlin a aussi été celle du bicentenaire 
de la Déclaration de 1789 —, ils sont employés tous azimuts pour disqualifier des 
régimes ou des pratiques de toute sorte, en particulier dans le Tiers-monde, mais 
aussi pour servir de modèle à de nouvelles politiques nationales et internationales. 
L’Union européenne leur a donné elle-même une place de premier rang (12), tandis 
que l’on assiste depuis quelques années, chez des auteurs comme Rawls, 
Habermas, Dworkin et bien d’autres, à une nouvelle tentative de fondation en droit 
de la communauté politique. La question du fondement des droits de l’homme se 
trouve donc à nouveau posée (13). 
Dans sa version canonique, chez Locke comme chez Hobbes, la théorie des 
droits « procède par rationalisation mythique de l'origine. Elle projette dans le passé 
abstrait de l'état de nature, passé hors histoire, la recherche d'une norme 
primordiale en elle-même intemporelle quant à la composition du corps politique » 
(14). On peut qualifier cette démarche de cognitive-descriptive. Les droits, dans 
cette optique, sont ce que tous les hommes sont censés « posséder » au seul motif 
qu'ils sont des hommes. L'individu tient ses droits imprescriptibles de l'« état de 
nature », comme autant d'attributifs constitutifs de son être. C'est la légitimation 
classique par la nature humaine. 
Cette légitimation apparaît clairement dans les grands textes fondateurs. La 
Déclaration d'indépendance américaine déclare que tous les hommes ont été 
« créés égaux », qu'ils sont pourvus (endowed) par leur Créateur d'un certain 
nombre de droits inaliénables. La Déclaration universelle de 1948 proclame dès son 
art. 1 : « Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. Ils 
sont doués de raison et de conscience ». C'est parce qu'ils sont naturels et innés 
que les droits sont inaliénables et imprescriptibles. 
De nombreux défenseurs de l'idéologie des droits s'en tiennent aujourd'hui 
encore à ce raisonnement. Francis Fukuyama, par exemple, affirme que « toute 
discussion sérieuse sur les droits de l'homme doit se fonder en dernière instance 
sur une vision des finalités ou des objectifs de l'existence humaine qui, à son tour, 
doit presque toujours se fonder sur une conception de la nature humaine » (15). 
Selon lui, seule « l'existence d'une unique nature humaine partagée par tous les
habitants du monde peut fournir, au moins en théorie, un terrain commun pour 
fonder des droits de l'homme universels » (16). C'est pourquoi il reste partisan d'un 
recours au langage des droits (rights talk), celui-ci étant « plus universel et  plus 
facilement compris ». Il ajoute que le discours des droits vaut parce que tous les 
hommes ont les mêmes préférences, ce qui montre qu'ils sont « en fin de compte 
fondamentalement les mêmes » (17). On retrouve ce raisonnement, de type 
lockéen, chez des conservateurs comme Tibor R. Machan (18), Eric Mack, Douglas 
Rasmussen ou Douglas J. Den Uyl, dans une perspective qui s'inspire aussi de 
l'objectivisme libertarien de Ayn Rand. 
Cette démarche se heurte à de très grandes difficultés, à commencer par le fait 
qu'il n'existe pas de consensus sur la « nature humaine ». Au cours de l'histoire, la 
notion même de « nature » a fait l'objet des définitions les plus contradictoires. Pour 
les Anciens, la nature humaine ordonne les individus au bien commun. Pour les 
Modernes, elle légitime leur droit de poursuivre n'importe quelle fin, si bien qu’ils 
n'ont fondamentalement en commun que ce droit. En outre, une fois qu'on a 
démontré qu'il existe une nature humaine, on n'a nullement démontré qu'il en 
découle que l'homme a des droits au sens que la doctrine des droits de l'homme 
donne à ce mot. 
Hegel avait déjà constaté qu'il est difficile d'alléguer la « nature » pour conclure à 
l'égalité des hommes entre eux : « Il faut dire que, par nature, les hommes sont bien 
plutôt seulement inégaux » (19). Les sciences de la vie n'ont pas démenti ce point 
de vue. L'étude de la nature biologique de l'homme, qui n'a cessé de progresser ces 
dernières décennies, montre que  la « nature » est fort peu égalitaire et surtout que, 
loin de l'individu soit la base de  l'existence collective, c'est bien plutôt la collectivité 
qui constitue la base de l'existence individuelle : pour Darwin comme pour Aristote, 
l'homme est d'abord par nature un être social. Dans un article qui a fait grand bruit, 
Robin Fox a écrit que l'on pourrait d'ailleurs tirer de cette étude de la nature 
biologique de l'homme des conclusions allant directement à l'encontre de l'idéologie 
des droits de l'homme, par exemple une légitimation du meurtre, de la vengeance, 
du népotisme, du mariage arrangé ou du viol : « Il n'y a rien dans les “lois de la 
nature” qui nous dise qu'un groupe d'individus apparentés génétiquement n'a pas le 
droit de chercher par tous les moyens à maximiser le succès reproductif de ses 
membres » (20). Fox en tirait la conclusion que les « droits naturels » dont parle 
l'idéologie des droits, soit vont à l'encontre de ce que l'on observe effectivement 
dans la nature, soit concernent des choses sur lesquelles la nature ne dit 
strictement rien. On retrouve une conclusion semblable chez Paul Ehrlich (21). 
Baudelaire, plus radical, affirmait : « La nature ne peut conseiller que le crime ». 
Une autre difficulté tient à la portée de ce que l'on peut tirer d'un constat de fait. 
La tradition libérale anglo-saxonne n'a cessé d'affirmer, à la suite de David Hume, 
G.E. Moore, R.M. Hare et quelques autres, que de l'être on ne saurait tirer un 
devoir-être : l'erreur du « naturalisme » (naturalistic fallacy) consisterait à croire que 
la nature peut fournir une justification philosophique de la morale ou du droit. Cette 
affirmation est extrêmement discutable, pour des raisons qu'on n'exposera pas ici.
Mais d'un point de vue libéral, elle entre en contradiction avec l'idée que le 
fondement des droits de l'homme serait à rechercher dans la nature humaine. A 
supposer même en effet que l'homme ait jamais eu à l'« état de nature » les 
caractéristiques que l'idéologie des droits lui attribue, si l'on ne peut tirer de l'être un 
devoir-être, si l'on ne peut passer d'une constatation indicative à une prescription 
impérative, on ne voit pas comment le constat des « droits » pourrait justifier 
l'exigence de les préserver. Tel est précisément l'argument que Jeremy Bentham 
faisait valoir contre les droits de l'homme : compte tenu de la scission du droit et du 
fait, même si la nature humaine est ce qu'en disent les partisans des droits, on ne 
saurait en tirer aucune prescription. La même argumentation se retrouve, dans une 
autre optique, chez Hans Kelsen comme chez Karl Popper (22). Elle a été reprise, 
plus récemment, par Ernest van den Haag (23). 
L'idée d'un « état de nature » ayant précédé toute forme de vie sociale, enfin, 
apparaît aujourd'hui de moins en moins tenable. Certains défenseurs des droits de 
l'homme le reconnaissent ouvertement. Jürgen Habermas, par exemple, n'hésite 
pas à dire que « la conception des droits de l'homme doit être libérée du poids 
métaphysique que constitue l'hypothèse d'un individu donné avant  toute 
socialisation et venant en quelque sorte au monde avec des droits innés » (24). On 
tend alors à faire de l'individu isolé une hypothèse rationnelle nécessaire ou une 
fiction narrative utile. Rousseau évoquait déjà cet état de nature « qui n'a peut-être 
point existé », mais « dont il est pourtant nécessaire d'avoir des notions justes » 
(Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité). L'état de nature serait une 
« fiction nécessaire » permettant d'imaginer ce que serait la condition des hommes 
avant qu'ils soient soumis à une forme quelconque d'obéissance, c'est-à-dire avant 
tout rapport social. On en déduit que dans un tel état, ils seraient « libres et égaux ». 
C'est évidemment pure spéculation. « Bien entendu, écrit Raymond Aron, les 
formules comme “les hommes naissent libres et égaux en droit” ne résistent pas à 
l'analyse : “naître libre”, au sens propre, ne signifie rien » (25). 
Le discours des droits de l'homme qui fait aujourd'hui retour est donc beaucoup 
plus problématique que celui qui s'énonçait à l'époque des Lumières. « Si retour du 
droit il y a, observe Marcel Gauchet, c'est un droit sans la nature. Nous avons le 
contenu du droit subjectif sans le support qui a permis de l'élaborer » (26). Si la 
nature humaine n'est pas ce qu’on croyait en savoir au XVIIIe siècle, sur quoi 
fonder la doctrine des droits naturels ? Si l'avènement de la société ne correspond 
plus à une sortie de l'« état de nature », comment en rendre compte d'une façon qui 
reste compatible avec la théorie des droits, c'est-à-dire avec une théorie centrée sur 
l'individu ? 
Certains auteurs, comme James Watson, pensent qu'il vaudrait mieux cesser de 
raisonner en termes de « droits » de l'homme et se borner à parler de « besoins » 
ou d'« intérêts humains ». Mais cette démarche, qui revient à remplacer l'approche 
morale par une approche de type utilitariste ou conséquentialiste, se heurte au fait 
qu'aucun consensus ne peut s'établir sur la valeur des « intérêts » ou sur la 
hiérarchie des « besoins », compte tenu du caractère éminemment subjectif et
intrinsèquement conflictuel de ces notions. En outre, les intérêts sont par définition 
toujours négociables, tandis que les valeurs et les droits ne le sont pas (le droit à la 
liberté ne se réduit pas à l'intérêt qu'un individu peut avoir à être libre). Enfin, 
l'utilitarisme ne saurait fonder les droits de l'homme, puisqu'il pose en principe qu'il 
est  toujours légitime de sacrifier certains hommes si  ce sacrifice permet 
d'augmenter la « quantité de bonheur » d'un nombre d'hommes plus important (27). 
Une alternative plus ambitieuse est celle de la philosophie kantienne, qui prône 
une morale fondée sur l'indépendance de la volonté. Le vrai choix moral, affirme 
Kant,  implique la liberté de la volonté,  c'est-à-dire un libre vouloir  qui 
s’autodétermine en s’affranchissant de toute causalité naturelle. Définissant 
comme juste toute action « qui peut faire coexister la liberté de l'arbitre de chacun 
avec la liberté de tout autre selon une loi universelle » (28), Kant fait de la liberté le 
seul « droit originaire qui appartient à tout homme en vertu de son humanité ». Dans 
cette optique, l'essence pure du droit réside dans les droits de l'homme, mais ceux- 
ci ne se fondent plus sur la nature humaine, mais sur la dignité (Würde). Respecter 
la dignité de l'homme, c'est respecter le respect de la loi morale qu'il porte en lui. 
« L'humanité elle-même est une dignité, écrit Kant, car l'homme ne peut être utilisé 
par aucun homme (ni par d'autres, ni même par lui) simplement comme moyen, 
mais il faut toujours qu'il le soit en même temps comme une fin, et c'est en cela 
précisément que consiste sa dignité, grâce à laquelle il s'élève au-dessus de tous 
les autres êtres du monde qui ne sont pas des êtres humains et qui peuvent en tout 
état de cause être utilisés, par conséquent au-dessus de toutes les choses » (29). 
Par rapport au précédents théoriciens des droits de l'homme, le changement de 
perspective est radical. « A l'origine, rappelle Pierre Manent, les droits de l'homme 
sont les droits naturels de l'homme, ceux qui  sont inscrits dans sa nature 
élémentaire [...] La dignité humaine, en revanche, se constitue, selon Kant, en 
prenant une distance radicale ou essentielle par rapport aux besoins et désirs de sa 
nature » (30). La théorie morale de Kant est en effet une théorie déontologique, 
c'est-à-dire qu'elle ne dépend d'aucune proposition substantielle concernant la 
nature humaine ou les finalités humaines qui découleraient de cette nature. La 
raison elle-même ne reçoit plus chez lui une définition substantielle, mais une 
définition purement procédurale, ce qui veut dire que le caractère rationnel d’un 
agent s’éprouve à sa façon de raisonner, à sa façon de parvenir à un résultat, non 
au fait que le résultat de son raisonnement est substantiellement exact au sens 
d’une conformité à un ordre extérieur. Emanant de la seule volonté, la loi morale 
exprime le statut de l’agent rationnel. C’est  un prolongement de la théorie 
cartésienne d’une pensée « claire et  distincte »,  elle-même dérivée de la 
conception augustinienne de l’intériorité. Pour Kant, la procédure décisive de la 
raison est l’universalisation. 
Dès lors, non seulement les droits ne dérivent plus de la nature humaine, mais 
d'une certaine façon ils s'y opposent. Agir moralement, c’est agir par devoir, non 
par inclination naturelle. La loi morale ne s’impose plus de l’extérieur, elle est 
prescrite par la raison elle-même. L’ordre naturel ne détermine plus nos finalités et
nos objectifs normatifs, nous sommes désormais tenus de produire la loi morale à 
partir de nous-mêmes. C’est  pourquoi  Kant recommande, non plus de se 
conformer à la nature, mais de construire une image des choses en suivant les 
canons de la pensée rationnelle. La liberté, chez Kant, n'est pas une tendance ou 
un attribut de la nature humaine, mais l'essence même du vouloir humain — une 
faculté absolutisée, détachée de toute contingence, faculté permettant de s'arracher 
à toute forme de déterminisme et dont le seul critère est l'appartenance à l'univers 
moral de l'humanisme abstrait. (Idée assez proche de la doctrine calviniste : la 
nature humaine est pécheresse, et l'attitude morale consiste à s'affranchir de tout 
désir ou penchant naturel. On trouvait déjà cette idée chez Platon). L'abstraction 
des droits de l'homme, hautement revendiquée, met ainsi la nature hors jeu. A la 
limite, l'humanité se définit comme capacité à s'affranchir de la nature, à 
s'émanciper de toute détermination naturelle, puisque toute détermination donnée 
en amont de soi contredit l'indépendance de la volonté. 
Cette théorie, que l'on retrouve chez un John Rawls (31) et de nombreux autres 
auteurs libéraux, s'expose à un reproche bien connu : les principes ayant été posés 
a priori, comment peut-on être sûr qu'ils s'appliquent à la réalité empirique ? Et 
comment concilier la mise hors jeu de la nature humaine avec les acquis des 
sciences de la vie, qui en établissent la réalité avec toujours plus de force (32) ? 
Hegel avait déjà souligné que l'universalisme kantien, faute de prendre en 
compte l'éthicité sociale (Sittlichkeit), c'est-à-dire l'ensemble des obligations morales 
envers la communauté à laquelle on appartient qui résultent du seul fait d'y 
appartenir — obligations largement fondées sur des coutumes et des pratiques 
établies —, est incapable de fournir des normes concrètes pour l'action. Restant 
impuissant à fixer des contenus au devoir et à distinguer les actions moralement 
bonnes, il ne parvient pas à se départir d'un subjectivisme formel. L'autonomie 
morale n'est ainsi acquise qu'au prix du vide : l'idéal d'arrachement renvoie à une 
liberté recherchée par elle-même, à une liberté sans contenu. Mais le même idéal 
renvoie aussi à un certain ethnocentrisme, car il ne saurait y avoir de droits formels 
et procéduraux qui n'impliquent pas de façon subreptice un contenu substantiel : 
« La déclaration de droit est aussi une affirmation de valeur » (Charles Taylor). Les 
éthiques libérales se caractérisent communément par la recherche d'un principe 
formel, axiologiquement neutre, qui puisse constituer un critère universalisable. 
Cette neutralité axiologique est toujours artificielle. 
Quant à la raison, elle ne peut elle aussi que rester muette sur ses propres 
fondements.  Alasdair  MacIntyre a montré qu'elle n'est  jamais neutre ou 
intemporelle, mais au contraire toujours liée à un contexte culturel et social- 
historique (33). La raison kantienne croit pouvoir connaître une loi universelle, c'est- 
à-dire un monde qui lui serait extérieur, alors qu'elle ne peut jamais la produire qu'à 
partir d'elle-même. Toujours tributaire de ses incarnations particulières, elle est 
indissociable d'une pluralité de traditions. 
La notion de dignité n'est pas moins équivoque. On sait que les théoriciens
modernes des droits de l'homme, même lorsqu'ils ne se réfèrent pas explicitement à 
la philosophie de Kant, en font toujours grand usage (34). Le mot « dignité », absent 
de la Déclaration des droits de 1789, figure au préambule de la Déclaration 
universelle de 1948, qui évoque expressément « la dignité inhérente à tous les 
membres  de la famille humaine ». Cette dignité est évidemment le propre d’une 
humanité abstraite. Elle « se rattache toujours à l’humanité intrinsèque affranchie 
de toute règle ou norme imposée socialement », écrit Peter Berger (35). On sait 
qu’historiquement, la dignité, attribuée à tous, a remplacé l’honneur, présent chez 
quelques uns. 
Dans son acception actuelle,  le terme possède une certaine résonance 
religieuse. L'idée d'une dignité égale en tout homme n'appartient en effet ni au 
langage juridique ni au langage politique, mais au langage moral. Dans la tradition 
biblique, la dignité a un sens précis : elle élève l'homme au-dessus du reste de la 
création, elle lui assigne un statut séparé. Elle le pose, en tant que seul titulaire 
d'une âme, comme radicalement supérieur aux autres vivants (36). Elle a aussi une 
portée égalitaire, puisque nul homme ne saurait être regardé comme plus ou moins 
digne qu'un autre. Cela signifie que la dignité n'a rien à voir avec les mérites ou les 
qualités qui sont propres à chacun, mais qu’elle constitue déjà un attribut de la 
nature humaine. Cette égalité est mise en rapport avec l'existence d'un Dieu 
unique : tous les hommes sont « frères » parce qu'ils ont le même Père (Malachie 2, 
10), parce qu'ils ont tous été créés « à l'image de Dieu » (Gen. 9, 6). Comme le dit 
la Michna : « L'homme fut créé en un exemplaire unique afin que nul ne dise à 
l'autre : mon père est supérieur au tien » (Sanhedrin 4, 5). Tout en insistant sur 
l'amour plus que sur la justice, le christianisme a repris la même idée à son compte : 
la dignité est d'abord le titre par lequel l'homme peut à bon droit être posé comme le 
maître de l'inanimé, le centre de la création. 
Chez Descartes, l'affirmation de la dignité humaine se développe à partir de la 
valorisation de l'intériorité comme lieu d'autosuffisance, comme lieu du pouvoir 
autonome de la raison. Chez les Modernes, la dignité est toujours un attribut, mais 
au lieu que cet attribut soit reçu de Dieu, il devient un trait caractéristique que 
l'homme tient d'emblée de sa nature. Enfin, chez Kant, la dignité est directement 
associée au respect moral. « On pourrait dire, écrit Pierre Manent, que la 
conception kantienne est une radicalisation, et donc une transformation, de la 
conception chrétienne que saint Thomas en particulier avait mise au point. Si, pour 
saint Thomas, la dignité humaine consiste à obéir librement à la loi naturelle et 
divine, elle consiste pour Kant à obéir à la loi que l'homme se donne à lui-même » 
(37). 
Quel que soit le sens qu'on lui donne, la dignité devient problématique dès lors 
qu'on la pose comme un absolu. On comprend ce que veut dire être « digne de », 
relativement à telle ou telle chose, mais « digne » en soi ? La dignité telle que la 
conçoit la théorie des droits est-elle un droit ou un fait ? Une qualité de la nature ou 
de la raison ? A Rome, la dignitas était étroitement liée à un rapport de 
comparaison, nécessaire pour déterminer les qualités qui faisaient que l'on méritait
quelque chose, qu'on en était digne. Cicéron : « Dignitas est alicujus honesta et 
cultu et honore et verecundia digna auctoritas » (38). Dans cette optique, la dignité 
ne pouvait évidemment pas être présente également en chacun (39). La dignité 
moderne, au contraire, est un attribut qui ne saurait faire l'objet d'un plus ou d'un 
moins, puisqu'elle est le fait de tous. L'homme qui est digne ne s'oppose plus à 
l'homme qui est indigne, et la « dignité de l'homme » devient un pléonasme, puisque 
c'est le fait d'être un homme, quel qu'il soit, qui rend digne. Cependant, si l'homme 
doit être respecté en raison de sa dignité et que ce qui fonde sa dignité est son droit 
au respect, on est dans un raisonnement circulaire (40). Enfin, si tout le monde est 
digne, c'est comme si personne ne l'était : les facteurs de distinction doivent 
seulement être recherchés ailleurs. 
Conscients des difficultés que soulève la légitimation des droits de l'homme par la 
nature humaine, les héritiers modernes de Kant (41) abandonnent toute démarche 
de type cognitiviste pour adopter une approche prescriptiviste. Mais alors, en toute 
rigueur, les droits qu'ils défendent ne sont plus des droits. Ce sont seulement des 
exigences morales, des « idéaux humains », qui ne représentent au mieux que ce 
que l'on a besoin de poser comme des droits pour parvenir à un état social jugé, à 
tort ou à raison, comme désirable ou meilleur. Ils perdent alors toute vertu 
contraignante, car des idéaux ne confèrent par eux-mêmes aucun droit (42). 
Une autre façon de fonder les droits de l'homme consiste à les faire reposer sur 
l'appartenance à l'espèce humaine. L'humanité, comme dans la Bible, est alors 
présentée comme une « grande famille », dont tous les membres seraient 
« frères ». Ceux qui adoptent cette démarche font observer que tous les hommes 
sont apparentés les uns aux autres, du fait de leur appartenance commune à 
l'espèce humaine. Ils affirment ensuite que c'est sur la base de cette parenté qu'on 
doit leur attribuer ou leur reconnaître les mêmes droits. André Clair propose ainsi de 
faire reposer les droits de l'homme, non sur l'égalité ou la liberté, mais sur le « tiers 
droit » de la fraternité. Du même coup se trouverait désamorcée la charge 
individualiste de la théorie classique des droits : « Si l'on pense la fraternité en 
relation avec la paternité, on se trouve engagé dans une problématique nouvelle, 
qui n'est plus celle des droits de l'homme au sens habituel (subjectif), mais celle de 
l'enracinement dans une lignée ou une tradition » (43). 
Cette démarche est  intéressante,  mais elle se heurte à son tour  à 
d'insurmontables difficultés. Tout d'abord, elle contredit à angle droit la doctrine 
selon laquelle les droits de l'homme sont fondamentalement des droits individuels, 
la source de ces droits étant l'individu considéré par lui-même, non en fonction de 
son histoire, de son appartenance ou de sa généalogie. Or, de la seule 
appartenance à l'espèce il est évidemment plus aisé de tirer des droits collectifs que 
des droits de l'individu. A cette contradiction s'en ajoute une autre, dans la mesure 
où la fraternité se définit avant tout, non pas comme un droit, mais comme un devoir 
qui ne s'appréhende que sur le mode normatif du rapport à autrui : dire que tous les 
hommes sont frères veut seulement dire qu'ils doivent tous se regarder comme tels.
La vulgate idéologique des droits de l'homme stipule explicitement que les droits 
dont elle parle sont ceux de l'homme en soi, c'est-à-dire d'un homme dessaisi de 
toutes ses appartenances. Il s'en déduit que le statut moral (les droits) ne peut 
jamais être fonction de l'appartenance à un groupe. Or, l'humanité constitue bel et 
bien un groupe. La question est alors de savoir pourquoi on reconnaît à ce groupe 
une valeur morale qu'on dénie aux instances infraspécifiques, pourquoi l'on affirme 
que toutes les appartenances doivent être tenues pour nulles tout en en considérant 
une, l'appartenance à l'humanité, comme décisive. Jenny Teichmann, qui fait partie 
des auteurs qui cherchent à faire reposer les droits sur l'appartenance à l'espèce 
humaine, écrit qu'« il est naturel pour des êtres grégaires de préférer les membres 
de leur propre espèce, et les humains ne font pas exception à cette règle » (44). 
Mais pourquoi cette préférence, légitime au niveau de l'espèce, ne le serait-elle pas 
aussi à d'autres niveaux ? Si les agents moraux sont habilités à octroyer un 
traitement préférentiel  sur la base de la proximité relative créée par une 
appartenance commune, ou par le type particulier de relations qui en résulte, 
pourquoi cette attitude ne pourrait-elle pas être généralisée ? On peut certes 
répondre que l'appartenance à l'espèce prime les autres parce qu'elle est la plus 
vaste, qu'elle englobe toutes les autres. Cela n'explique pas pourquoi toutes les 
appartenances possibles devraient être délégitimées au profit de celle qui les 
surclasse, ni pourquoi ce qui est vrai à un certain niveau cesserait de l'être à un 
autre. 
La définition biologique de l'homme comme membre de l'espèce humaine est en 
outre tout aussi conventionnelle ou arbitraire que les autres : elle repose sur l'unique 
critère de l'interfécondité spécifique. Cependant, l'évolution de la législation sur 
l'avortement a conduit à reconnaître qu'un embryon n'est qu'un homme en 
puissance, et non en acte. L'idée sous-jacente est que la définition de l'homme par 
les seuls facteurs biologiques ne suffit pas. On a donc tenté d'aller au-delà, en 
faisant valoir que ce n'est pas seulement parce qu'ils appartiennent à une autre 
espèce que les hommes se distinguent du reste des vivants, mais aussi et surtout 
par tout un ensemble de capacités et de caractéristiques qui leur sont propres. 
L'inconvénient est que, quelle que soit la capacité ou la caractéristique retenue, il 
est peu probable qu'elle se trouve également présente en chacun. Définir par 
exemple l'appartenance à l'espèce humaine par la conscience de soi ou la capacité 
à se poser soi-même en sujet de droit, pose immédiatement le problème du statut 
des enfants en bas-âge, des vieillards séniles et des handicapés profonds. 
C'est précisément cette double contradiction que n'ont pas manqué d'exploiter 
ceux qui militent pour les « droits des animaux », voire pour  l'octroi des droits de 
l'hommes aux grands singes. Dénonçant comme « spéciste » la doctrine selon 
laquelle seuls les hommes devraient être reconnus comme titulaires de droits, ils 
estiment qu'il n'y a rien de moral à attribuer un statut moral particulier à des êtres 
vivants sur la seule base de leur appartenance à un groupe, en l'occurrence 
l'espèce humaine. Ils affirment d'autre part que les grands singes appartiennent à la 
« communauté morale » dans la mesure où ils possèdent, au moins à l'état 
rudimentaire, des caractéristiques (conscience de soi,  sens moral,  langage
élémentaire, intelligence cognitive) que certains humains « non paradigmatiques » 
(handicapés profonds, demeurés, séniles, etc.) ne possèdent pas ou ne possèdent 
plus. Ils retournent en d'autres termes contre les partisans de la théorie classique 
des droits de l'homme, l'argument utilisé par ces derniers pour discréditer les 
appartenances infraspécifiques. 
« Attribuer une valeur spéciale ou des droits spéciaux aux membres de l'espèce 
humaine au seul motif qu'ils en sont membres, écrit ainsi Elvio Baccarini, est une 
position moralement arbitraire, qui ne se distingue pas du sexisme, du racisme ou 
de l'ethnocentrisme » (45). « Sommes-nous disposés, ajoute Paola Cavalieri, à dire 
que la parenté génétique qu'implique l'appartenance à une même race justifie 
d'accorder un statut moral particulier aux autres membres de sa race ? La réponse 
à l'évidence négative conduit donc à rejeter la défense de l'humanisme fondé sur la 
parenté » (46). 
La réponse classique à ce type d'arguments, qui reposent sur la déconstruction 
de la notion d'humanité par recours à l'idée de continuité  biologique entre les 
vivants, est que les animaux peuvent être des objets de droit (nous avons des 
devoirs envers eux), mais non des sujets de droit. Une autre réponse consiste à 
approfondir la notion de spécificité humaine,  une troisième à pousser le 
raisonnement à l'absurde : pourquoi s'arrêter aux grands singes et ne pas attribuer 
les mêmes « droits » aux félins, aux mammifères, aux insectes, aux paramécies ? 
Le débat ne peut en fait que tourner court dans la mesure même où le problème est 
posé en termes de « droits ». 
Le pape Jean-Paul II, dans l'encyclique Evangelium vitæ, affirme pour sa part 
que tous les hommes et seuls les hommes sont titulaires de droits, car ils sont les 
seuls êtres capables de reconnaître et d'adorer leur Créateur. Cette affirmation, 
outre qu'elle repose sur une croyance qu'on n'est pas obligé de partager, se heurte 
à l'objection déjà mentionnée plus haut : de toute évidence, ni les nouveaux-nés, ni 
les vieillards atteints de la maladie d'Alzheimer, ni les grands malades mentaux ne 
sont capables « de reconnaître et d'adorer » Dieu. 
Certains auteurs n'en estiment pas moins nécessaire de reconnaître que le fond 
de l'idéologie des droits de l'homme est inévitablement religieux. Michael Perry, par 
exemple, écrit qu'il n'y a aucun raison positive de défendre les droits de l'homme si 
l'on ne pose pas d'emblée que la vie humaine est « sacrée » (47). Cette affirmation 
laisse songeur quand elle émane, ce qui n'est pas rare, d'athées déclarés. Alain 
Renaut s'est moqué, non sans raison, de ces théoriciens qui, après avoir décrété la 
« mort de l'homme », n'en défendent pas moins les droits de l'homme, c'est-à-dire 
les droits d'un être dont ils ont eux-mêmes proclamé la disparition. Le spectacle de 
ceux qui professent le caractère « sacré » des droits de l'homme tout en se flattant 
d'avoir supprimé toute forme de sacré dans la vie sociale, n'est pas moins cocasse. 
Tout à l'opposé, certains pensent au contraire que la défense des droits de 
l'homme n'a besoin d'aucun fondement métaphysique ou moral. Pour Michael
Ignatieff, il est inutile de chercher dans la nature humaine une justification des 
droits, pas plus qu'il n'est nécessaire de dire que ces droits sont « sacrés » (48). Il 
suffit de prendre en compte ce que les individus estiment en général être juste. 
William F. Schulz, directeur exécutif d'Amnesty International, assure lui aussi que 
les droits de l'homme ne sont rien d'autre que ce que les hommes déclarent être 
des droits (49). A.J.M. Milne, dans un esprit voisin, tente de fonder les droits de 
l'homme sur un « standard minimum » déterminé par certaines exigences morales 
propres à toute vie sociale (50). Rick Johnstone écrit que  « les droits de l'homme 
ne “gagnent” pas parce qu'ils sont “vrais”, mais  parce que la plupart des gens ont 
appris qu'ils sont meilleurs que d'autres » (51). Ces propositions modestes, de 
caractère pragmatique, sont peu convaincantes. Considérer que les droits ne sont 
rien d'autre de ce que les gens estiment être tels revient à dire que les droits sont 
d'une nature essentiellement procédurale. Le risque est alors grand de faire fluctuer 
la définition des droits au gré des opinions subjectives de chacun. Cela revient du 
même coup à transformer les droits naturels en vagues idéaux ou en droits positifs. 
Or, les droits positifs sont encore moins « universaux » que les droits naturels, 
puisque c'est bien souvent au nom d'un droit positif particulier que le discours des 
droits de l'homme est récusé. 
Guido Calogero estime, lui, que l'idée de fondement des droits de l'homme doit 
être abandonnée au profit de celle de justification argumentative (52). Mais il admet 
que cette proposition est peu satisfaisante, car elle fait dépendre la « vérité » des 
droits de l'homme de la seule capacité d'argumentation des interlocuteurs, celle-ci 
restant toujours suspendue à d'éventuels arguments nouveaux. La recherche de la 
justification des droits de l'homme se ramène alors à la recherche argumentée d'un 
consensus intersubjectif, et donc nécessairement provisoire, dans une optique qui 
n'est pas sans rappeler l'éthique communicationnelle de Jürgen Habermas (53). 
Norberto Bobbio, enfin, soutient qu'une fondation philosophique ou argumentative 
des droits de l'homme est tout simplement impossible, et de surcroît inutile (54). Il 
justifie cette opinion en constatant que les droits de l'homme, loin de former un 
ensemble cohérent et précis, ont eu historiquement un contenu variable. Il admet 
aussi que nombre de ces droits peuvent se contredire entre eux, et que la théorie de 
droits de l'homme se heurte à toutes les apories du fondationnisme, car aucun 
consensus ne pourra jamais s'établir sur les postulats initiaux. Un point de vue 
assez proche a été émis par Chaïm Perelman. 
Qu'on allègue la nature humaine ou la raison, la dignité de l'homme ou son 
appartenance à l'humanité, la difficulté à fonder les droits de l'homme se révèle 
donc insurmontable. Mais si les droits de l'homme ne sont pas fondés en vérité, leur 
portée s'en trouve fortement limitée. Ils ne sont plus que des « conséquences sans 
prémisses », comme aurait dit Spinoza. Au bout du compte, la théorie se ramène à 
dire qu'il est préférable de ne pas subir d'oppression, que la liberté vaut mieux que 
la tyrannie, qu'il n'est pas bien de faire du mal aux gens, et que les personnes 
doivent être considérées comme des personnes plutôt que comme des objets, 
toutes choses qu'on ne saurait contester. Un tel détour était-il nécessaire pour en
arriver là ? 
A. B. 
1. Le sentiment d’exister. Ce soi qui ne va pas de soi, Descartes et Cie, 2002, p. 453. 
2. Politique et impolitique, Sirey, 1987, p. 192. 
3. Ibid., p. 189. 
4. Les droits de l’homme. Origines et aléas d’une idéologie moderne, Cerf, 2001, p. 7. 
5. Sur l’extension tardive des droits de l’homme aux femmes, cf. notamment Xavier Martin, 
L’homme des droits de l’homme et sa compagne, Dominique Martin Morin, Bouère 2001. 
6. In Louis Favoreu (éd.), Cours constitutionnelles européennes et droits fondamentaux, Presses 
universitaires d’Aix-Marseille, Aix-en-Provence, et Economica, 1982, p. 521. 
7. Les origines de la France contemporaine. La Révolution, vol. 1, Hachette, 1878, p. 274. 
8. On voit cependant mal comment un tel droit pourrait résulter de la nature purement individuelle 
de l’homme, étant donné qu’il ne saurait y avoir d’« oppression » en dehors d’une société politique 
établie. 
9. Cf. « Sur le lieu commun : c’est peut-être vrai en théorie, mais en pratique cela ne vaut point », 
in Kant, Œuvres philosophiques, vol. 3, Gallimard-Pléiade, 1986, vol. 3, p. 265. 
10.  Les droits de l’homme : droits individuels ou droits collectifs ? Actes du Colloque de 
Strasbourg des 13 et 14 mars 1979, Librairie générale de droit et de jurisprudence, 1980, p. 21. 
11. « Les tâches de la philosophie politique », in La Revue du MAUSS, 1er sem. 2002, p. 279. 
12. Le traité de Maastricht (1992) stipule que l’Union européenne « respecte les droits 
fondamentaux tels qu’ils sont garantis par la Convention européenne de sauvegarde des droits de 
l’homme et des libertés fondamentales signée à Rome le 4 novembre 1950 ». Le traité d’Amsterdam 
(1997) fait un pas de plus, en ajoutant que « l’Union européenne est fondée, notamment, sur le 
principe du respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales ». La Communauté 
européenne (et non l’Union, qui ne possède pas de personnalité juridique) avait par ailleurs envisagé 
d’adhérer à la Convention européenne des droits de l’homme. Mais un arrêt rendu par la Cour de 
justice européenne en date du 28 mars 1996, a conclu qu’« en l’état actuel du droit communautaire, 
la Communauté n’a pas compétence pour adhérer à la Convention ». Une telle adhésion aurait eu 
pour conséquence de placer les institutions communautaires sous la tutelle juridique de la Convention 
— à commencer par la Cour de justice de Luxembourg, qui se serait retrouvée dans la dépendance de 
la Cour de Strasbourg. C’est la raison pour laquelle l’Union européenne, adoptant une solution de 
rechange, a décidé d’énoncer une liste de « droits fondamentaux » protégés par l’ordre juridique 
communautaire. Cette Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, adoptée par le 
Conseil européen en l’an 2000, comprend 54 articles précédés d’un préambule. Son contenu révèle 
un vaste syncrétisme d’inspirations. Quant à sa valeur juridique concrète, elle reste pour l’instant 
assez floue. La question de savoir si la Charte pourra être invoquée devant le juge national, 
notamment, n’a pas été tranchée.
13. Cf. notamment Institut international de philosophie (éd.),  Les fondements des droits de 
l’homme. Actes des entretiens de l’Aquila, 14-19 septembre 1964, Nuova Italia, Firenze 1966 ; 
Mauricio Beuchot,  Los derechos humanos y su fundamentación filosófica,  Universidad 
Iberoamericana, México 1997. 
14. Marcel Gauchet, art. cit., p. 288. 
15. « Natural Rights and Natural History », in The National Interest, été 2001, p. 19. 
16. Ibid., p. 24. 
17. Ibid., p. 30. 
18. Individuals and Their Rights, Open Court, La Salle [Illinois] 1990. 
19. Encyclopédie des sciences politiques, § 539, J. Vrin, 1988, p. 314. 
20. « Human Nature and Human Rights », in The National Interest, hiver 2000-01, p. 81. Cf. aussi 
Robin Fox, « Human Rights and Foreign Policy », in The National Interest, été 2002, p. 120. 
21. Human Natures. Genes, Cultures, and the Human Prospect, Island Press, Washington 2000. 
22. La société ouverte et ses ennemis [1953], Seuil, 1979. Popper estime que prendre exemple sur 
la nature conduit immanquablement au holisme. 
23. « Against Natural Rights », in Policy Review, hiver 1983, pp. 143-175. 
24. « Le débat  interculturel sur les droits de l'homme », in L'intégration républicaine, Fayard, 1998, 
p. 252. 
25. « Pensée sociologique et droits de l'homme », in Etudes sociologiques, PUF, 1988, p. 229. 
26. Art. cit., p. 288. 
27. Sur la critique des droits de l'homme par Jeremy Bentham, le fondateur de l'utilitarisme, cf. 
Jeremy Waldron (ed.), « Nonsense Upon Stilts ». Bentham, Burke and Marx on the Rights of Man
Methuen, London 1987 ; Hugo Adam Bedau, « “Anarchical Fallacies”: Bentham's Attack on Human 
Rights », in Human Rights Quarterly, février 2000, pp. 261-279. 
28. Métaphysique des mœurs, vol. 2, Doctrine du droit, doctrine de la vertu, Flammarion, 1994, p. 
17. 
29. Ibid., p. 333. 
30. « L'empire de la morale », in Commentaire, automne 2001, p. 506. 
31. A ceci près que, comme bien d'autres tenants d'une morale déontologique (Ronald Dworkin, 
Bruce Ackerman, etc.), Rawls réintroduit subrepticement dans son discours un certain nombre de 
considérations renvoyant malgré tout à la nature humaine (en particulier lorsque, évoquant 
l'hypothétique « voile d'ignorance » qui caractériserait la « position originelle », il prête à l'homme une 
tendance innée à refuser le risque). 
32. Sous l’influence de Kant ou de l’empirisme de la table rase, nombreux sont les auteurs qui en 
sont venus à nier tout simplement l’existence d’une nature humaine. Cf. en tout dernier lieu l'ouvrage
très critique de Steven Pinker, The Blank State. The Modern Denial of Human Nature (Viking Press, 
New York 2002), qui a déjà donné lieu dans les pays anglo-saxons à un débat de grande ampleur. 
Pinker voit dans la nature humaine, qu’il veut réhabiliter, un véritable « tabou moderne ». 
33. Quelle justice ? Quelle rationalité ?, PUF, 1993. 
34. Cf. notamment Myres S. McDougal, Harold D. Lasswell et Lung-chu Chen, Human Rights and 
World Public Order, Yale University Press, New Haven 1980. 
35. « On the Obsolescence of the Concept of Honour », in Stanley Hauerwas et Alasdair MacIntyre 
(ed.), Revisions, University of Notre Dame Press, Notre Dame 1983. 
36. Cf. Alain Goldmann, « Les sources bibliques des droits de l'homme », in Shmuel Trigano (éd.), 
Y a-t-il une morale judéo-chrétienne ?, In Press, 2000, pp. 155-164. 
37. Art. cit., p. 505. 
38. De l'invention, 2, 166. 
39. Un lointain écho de cette hiérarchie se retrouve dans la théologie chrétienne  quand elle 
distingue la « dignité parfaite » des chrétiens et la « dignité imparfaite » des non-baptisés. 
40. Cf. Jacques Maritain, Les droits de l'homme, Desclée de Brouwer, 1989, pp. 69-72. 
41. Citons par exemple A.I. Melden, Rights and Persons, Oxford University Press, Oxford 1972 ; et 
Joel Feinberg, Rights, Justice, and the Bounds of Liberty, Princeton University Press, Princeton 1980. 
42. Cf. à ce sujet S.S. Rama Rao Pappu, « Human Rights and Human  Obligations. An East-West 
Perspective », in Philosophy and Social Action, novembre-décembre 1982, p. 20. 
43.  Droit, communauté et humanité, Cerf, 2000, p. 67. 
44. Social Ethics. A Student's Guide, Basil Blackwell, Oxford 1996, p. 44. 
45. « On Speciesism », in Synthesis Philosophica, 2000, 1-2, p. 107. 
46. « Les droits de l'homme pour les grands singes non humains ? », in Le Débat, janvier-février 
2000, p. 159. Cf. dans le même numéro les interventions de Luc Ferry, Marie-Angèle Hermitte et 
Joëlle Proust. Cf. aussi Peter Singer, La libération animale, Grasset, 1993 ; Paola Cavalieri et Peter 
Singer, The Great Ape Project. Equality beyond Humanity, St Martin's Press, New York 1994. Une 
argumentation analogue avait été soutenue en d'autres temps, mais sur le mode humoristique, par 
Clément Rosset (Lettre sur les chimpanzés, Gallimard 1965). « Les animaux sont des hommes 
comme les autres », n'a pas hésité à déclarer la princesse Stéphanie de Monaco. Une Déclaration 
universelle des droits de l’animal a été proclamée le 15 octobre 1978 à l’Unesco. Son art. 1 affirme 
que « tous les animaux naissent égaux devant la vie et ont les mêmes droits à l’existence ». 
47. The Idea of Human Rights. Four Inquiries, Oxford University Press, New York 1998, pp. 11-41. 
48. Human Rights as Politics and Idolatry, Princeton University Press, Princeton 2001. 
49. In Our Own Best Interest. How Defending Human Rights Benefit Us All, Beacon Press, New 
York 2002. 
50. Human Rights and Human Diversity. An Essay in the Philosophy of Human Rights, Macmillan, 
London 1986.
51. « Liberalism, Absolutism, and Human Rights. Reply to Paul Gottfried », in Telos, été 1999, p. 
140. 
52. « Il fondamento dei diritti dell'uomo », in La Cultura, 1964, p. 570. 
53. Pour Habermas, l’agent est avant tout constitué par le langage, donc par l’échange 
communicationnel. La raison serait appelée à progresser par le biais d’un consensus obtenu grâce à 
la discussion. Cf. Théorie de l’agir communicationnel, Fayard, 1987, 2 vol. Habermas propose de 
redéfinir les droits de l'homme à partir d'un respect du sujet en tant que support de l'« activité 
communicationnelle ». Il nie d'autre part que les droits de l'homme soient de nature morale, ajoutant 
toutefois que « ce qui leur confère une apparence de droits moraux n'est pas leur contenu [...] mais le 
sens de leur validité, qui dépasse l'ordre juridique des Etats-nations » (La paix perpétuelle. Le 
bicentenaire d'une idée kantienne, Cerf, 1996, p. 86). 
54. Per una teoria generale della politica, Einaudi, Torino 1999, pp. 421-466.

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