Alain de Benoist
JULIUS EVOLA, REACTIONNAIRE RADICAL ET
METAPHYSICIEN ENGAGE
Analyse critique de la pensée politique de Julius Evola
Le texte ci-dessous a été rédigé pour servir de préface àl' édition définitive d' « Orientations »et des« Hommes au milieu des ruines »dans un volume des« Opere di JuliusEvola »qui aparuen janvier 2002 aux éditions Mediterranee, de Rome.
DansLecheminduCinabre, Evolaracontequ’il eut lasurprise, àsonretour à
Romeen1948(1), deconstater qu’il existait encoreenItalie« desgroupes, de
jeunessurtout, qui nes’étaient paslaisséentraînerdansl’écroulementgénéral. Dans
leursmilieuxtout particulièrement, monnométait connuet meslivresétaient très
lus »(2). C’est àl’intentiondecesjeunesgens, commeil devait leconfirmer par la
suiteàplusieursreprises(3), quel’auteur deRévoltecontrelemondemoderne
décidaderédiger, d’abordlabrochureintituléeOrientations, dont lapremièreédition
parut en1950àl’initiativedugroupefondateur delarevueImperium, quedirigeait
alorsEnzoErra, puis, troisansplustard, lelivreLeshommesaumilieudesruines,
qui fut publié aux éditions romaines dell’Ascia.
Aveccesdeuxouvrages, Evolavoulait répondreàlademandequesesjeunes
lecteurslui avaient faiteenvued’obtenir delui des« directivescapablesdedonner
uneorientationpositiveàleur activité ». Lui-mêmedevait décrireOrientations, dans
la préface qu’il rédigea pour l’édition de 1971, comme une « rapide synthèse
provisoire de quelques points essentiels et généraux », synthèse destinée à
proposer, non pas tant des mots d’ordre ou un programme politique, que des
« consignes »àvaleurexistentielleàdestinationde« ceuxqui surent combattretout
enétant conscientsquelabatailleétait matériellement perdue ». Maisc’est aussi
danscepetit livrequ’il écrivait leslignessuivantes : « Noussommesaujourd’hui au
milieud’unmondederuines. Et laquestionqu’il faut seposer est celle-ci : existe-t-il
encoredeshommesdebout parmi cesruines ?Et quedoivent-ilsfaire, quepeuvent-
ilsencorefaire ? »Leshommesaumilieudesruinesdevait lui permettrederépondre
plus complètement à cette question
Comptetenudecequi précède, onpourrait êtretentédeconsidérer Orientations
et Leshommesaumilieudesruinescommedesimplesécritsdecirconstance. Ce
serait une erreur, pour au moins deux raisons. La première est l’influence
considérablequecesdeuxouvragesn’ont cesséd’exercerdepuisl’époqueoùilsont
étéécrits. Ainsi qu’entémoignelegrandnombred’éditionset detraductionsdont ils
ont fait l’objet (4), Orientations et Les hommes au milieu des ruines ont
incontestablement servi de « lectured’éveil » à plusieurs générations de jeunes
gens, issustout particulièrement desmilieuxdeladroiteradicale.Ilsytrouvaient une
synthèse, relativement faciled’accès, desidéespolitiquesdeJuliusEvola, etil nefait
pasdedouteque, dansbiendescas, c’est par lalecturedeceslivresqu’ilsont
commencéàsefamiliariseraveclapenséeévolienne, dont ilsnedevaient découvrir
que par la suite les autres aspects, plus proprement métaphysiques.
Laseconderaisonest quecesdeuxlivressont loindeconstituerunblocmarginal
ouisolédansl’œuvred’Evola. Celui-ci n’aeneffet pratiquement jamaiscessé, au
moinsdepuisledébut desannéestrente, sinonlafindesannéesvingt, d’écriredes
textes à caractèredirectement politique. Ce trait est mêmel’un deceux qui le
distinguent leplusnettement ducourant depensée« traditionaliste »auquel onle
rattachegénéralement. Contrairement aux autres théoriciens de la Tradition, de
René Guénon à Frithjof Schuon, Evola a constamment pris position sur les
problèmespolitiqueset adoptélui-mêmedespositionspolitiques, notamment dans
sesarticlesdejournauxet derevues, dont laplupart n’ont étéréunisenvolume
qu’aprèssamort (5). Cetteparticularité, qui apufaireconsidérersonœuvrecomme
un« surprenant mélanged’inactualitéaristocratique, d’intempestivitésouveraineou
desupra-historicitémétaphysique, et d’implicationcontinuéedans les problèmes
d’actualité, d’engagement danslechampidéologico-politique »(6), est àmettreen
rapport, àn’enpas douter, avecsavolontédes’affirmer commeun« guerrier »
(kshatriya)plutôtqu’un« prêtre »—et parsuiteavecsonaffirmation, si contraireaux
vuesdeRenéGuénon, selonlaquelleleguerrier ouleroi est porteur, dans les
sociétés traditionnelles, d’un principe spirituel de dignité égale à celle du sacerdoce.
Cet intérêt est mêmesi constant chezlui qu’onpeut parfoissedemander s’il faut
leconsidérer commeunpenseur delaTraditionparticulièrement intéressépar la
politiqueoucommeunthéoricienpolitiquequi seréfèreauxprincipesdelaTradition.
Maisledouteest levédèsquel’onvoit quelledéfinitionEvoladonnedelapolitique.
Cettedéfinitionsuffit eneffet àlefairereconnaîtrecommeunmétaphysicien—
« métaphysicienengagé »sansnul doute, maisd’abordet avant tout métaphysicien.
Contrairement à un politologue comme Julien Freund, pour qui le politique est
« originairement substantiel àlasociétéentant qu’essence »(7) et qui soutient le
caractèrestrictement autonomedecetteessence, Evolafait partiedesauteursqui
reconduisent ouramènent lepolitiqueàuneautreinstancequelasiennepropre.
Selonlui, lapolitiquerelèveendernièreanalysedel’éthiqueet delamétaphysique :
ellenereprésentequel’applicationdansundomaineparticulierdeprincipesqui, loin
delacaractériser oudelui appartenir enpropre, trouvent endehors d’elleleur
origine, leur signification et leur légitimité.
Tandisquepour JulienFreund, lapolitiqueest « l’activitésocialequi sepropose
d’assurer par laforce, généralement fondéesur ledroit, lasécuritéextérieureet la
concordeintérieured’uneunitépolitiqueparticulièreengarantissant l’ordreaumilieu
deluttes qui naissent de ladiversité et deladivergences des opinions et des
intérêts »(8), elleest pour Evolal’« applicationdes directivesdusupra-monde »,
c’est-à-direuneactivitémiseenœuvrepar uneautoritédont lefondement nepeut
êtreque« métaphysique »(9), autoritéassimiléeàune« qualitétranscendanteet
nonuniquement humaine »(10). « Lefondement detout véritableEtat, écrit Evola,
c’est latranscendancedesonprincipe »(11). Il s’endéduit quelesrèglesdel’action
politiquenesont pasautonomes, maisdérivées. Lapolitiquen’est pasensonfond
politique, maismétaphysique : entant qu’elleest une« traduction », ellen’apas
d’essencepropre. C’est pourquoi, assureEvola, lemétaphysicienest mieuxplacé
que personne pour dire en quoi elle doit consister (12).
Le primat de l’Etat
Leshommesaumilieudesruinesest unlivrequi portemoinsqu’onnepourrait le
croire la marque de l’époque à laquelle il fut écrit. C’est d’ailleurs sans doute la raison
pour laquelle il a pu être lu avec un égal intérêt par plusieurs générations
successivesdelecteurs. Onnesaurait s’enétonner danslamesureoù, d’emblée,
Evolas’ysituefondamentalement auniveaudesprincipes. C’est particulièrement
vrai desonzepremierschapitres, danslesquelsil exposeprécisément cequesont
ces principes —terme qui, chez lui, a toujours le sens d’idées ou de règles
supérieuresabsolues. Ladeuxièmepartie, qui traiteaussi bienducorporatismeque
dela« guerreocculte », est enrevancheplusdisparate, plusinégale, et c’est sans
doute celle qui pourra paraître aujourd’hui comme ayant le plus « vieilli ».
Ondoit fairecrédit àEvolades’exprimer toujourssansfard, sansconcessions
tactiquesni àlaconjonctureni àl’impressionquesespropospourraient produire.
PhilippeBaillet apuparler àcet égardd’un« styleextrêmement dépouillé, parfois
hautainet solennel, mais, mêmedanscecas, privédetout artificelittéraireet de
toute rhétorique facile » (13). Evola est d’ailleurs le premier, non seulement à
reconnaîtresonradicalisme, maisàs’enfairegloireet àleprôner àceuxqui le
lisent : « Nous, nous devons avoir en propre le courage des choix radicaux (il
coraggiodel radicalismo), lenonlancéàladécadencepolitiquesoustoutes ses
formes, qu’ellessoient degaucheoud’unesoi-disant droite »(14). Nousauronsà
reparlerplusloindeceradicalisme. Disonstout desuitequ’il doit avant tout êtremis
enrapport aveccequ’Evolaappellel’« intransigeancedel’idée ». L’idée, pourEvola,
nesaurait êtreleproduit descirconstances. Elleappartient et tient sonorigined’une
sphère détachée de toutes les contingences, et même de toute autre forme
d’appartenance : « L’idée, et l’idée seule, doit représenter la vraie patrie » (15).
Cette façon d’aborder les choses explique l’économie générale d’un ouvrage
commeLeshommesaumilieudesruines. Pour traiter depolitique, Evolanes’y
réfèreàpresqueaucungrandthéoricienclassiquedelachosepublique. S’il fait état
dupeudesympathiequ’il apour Machiavel, s’il évoqueàl’occasionJean-Jacques
Rousseau, il passesoussilencelesnomsdeLocke, Hobbes, Althusiuset Bodintout
autant queceuxdeTocquevilleoudeMaxWeber. Il soulignequel’économiqueest
pourlui un« facteursecondaire »,maisil neproduit pasderéfutationargumentéede
lapenséed’AdamSmithoudecelledeKarl Marx, pasplusqu’il n’examinedansle
détail les rapports complexes dupouvoir politiqueet dudomainejuridique. Son
propos, encore une fois métaphysique avant tout, ne s’éclaire guère que des
expériencespolitiquesqu’il aeuàconnaîtredurant lesannéestrente. Il n’yapasde
cepoint devuedethéorieproprement politologiqueàrechercherchezlui. Demême,
il se soucie assez peu de transcrire au niveau des applications concrètes les
principesnormatifsqu’il énonce. Quandil s’yessaie, àdetrèsraresexceptionsprès,
ses propositions revêtent le plus souvent un caractère très général (16), voire
énigmatique (17).
Bref, Evolas’efforcederestertoujoursauniveaudecequi est pourlui l’essentiel.
Mais quel est l’essentiel ?
Onsait quepour Evola, toutel’histoirehumainedepuisdeuxmillénaireset demi
peut selirecommeunprocessusd’involution, assezlent d’abord, puisdeplusen
plusaccéléré, et qui culminedanslamodernité. Ceprocessusdedécadenceobéit à
laloi de« régressiondescastes », qui afini par consacrer lesvaleursmarchandes,
économiques—qui pourEvolasont aussi cellesdelafemmeet dupeuple—et par
donner le pouvoir à leurs représentants. Il se caractérise par une progressive
déperditiondel’élément spirituel, viril et héroïque, caractéristiquedela« Lumièredu
Nord », et par une montée corrélative des valeurs dissolvantes des cultures
« gynécocratiques »duSud. Sonrésultat est l’effacement des« visionsdumonde »
(Weltanschauungen) impersonnelles, ordonnées à des principes métaphysiques
supérieurs, auprofit duseul savoir livresqueet del’intellectualismeabstrait, mais
aussi le primat del’« âme », domaine des pulsions instinctives et des passions
indifférenciées, sur l’« esprit », domaine de la clarté « apollinienne » et de la
rationalité. Pour Evola, ceprocessusconstitueunfait premier, qui justifieleregard
péjoratif qu’il portesur l’histoire : celle-ci n’est qu’histoired’undéclintoujoursplus
accentuéet, inversement, ledéclincommencedèsquel’hommeveut s’inscriredans
l’histoire.
Cettevisions’inscrit elle-mêmedansunestructuredetypeàlafoisdualisteet
hiérarchique. Tout le système d’Evola se fonde sur une double opposition : d’une part
entrecequi est « enhaut »et cequi est « enbas », d’autrepart entrelaplus
lointaine origine (ce qu’il appelle la « Tradition primordiale ») et la fin de cycle
actuelle. Les termes de cette opposition se recouvrent : l’origine renvoie aux
principesfondateurssupérieurs, l’état deschosesprésent àl’abaissement final. La
décadence se résume dès lors au mouvement ascendant de la base et au
mouvement descendant du sommet.
Lapenséeévolienneseveut bienentendufondamentalement orientéevers le
haut, c’est-à-dire rigoureusement élitiste et « hiérarchiste ». Evola rappelle
qu’étymologiquement, « hiérarchie » signifie « souveraineté du sacré ». La
perspectivehiérarchiquedoit doncs’entendreàlafoisdansunsenssynchronique
(« plus la base est vaste, plus le sommet doit être haut »), et dans un sens
diachronique, lepasséétant par définitiontoujours meilleur queleprésent —et
mêmed’autant meilleurqu’il est pluséloigné. L’idée-cléest ici quel’inférieurnepeut
jamaisprécéder lesupérieur, car leplusnesaurait sortir dumoins. (C’est laraison
pour laquelle Evola rejette la théorie darwinienne de l’évolution). Adversaire résolu de
l’idéed’égalité, Julius Evolacondamnedonc avec force touteforme depensée
démocratiqueet républicaine—lesrépubliquesdel’Antiquitén’étant selonlui que
desaristocratiesoudesoligarchies—, tant parcequedetellesformesdepensée
proviennent du« bas »queparcequ’ellessont desproduitsdelamodernité, les
deux raisons n’enformant d’ailleurs qu’une à ses yeux. L’histoire étant conçue
commechuteaccélérée, il n’yadèslors, dulibéralismeaubolchevisme, qu’une
différencededegré : « Libéralisme, puisdémocratie, puissocialisme, radicalisme,
enfincommunismeet bolchevismenesont apparusdansl’histoirequecommedes
degrésd’unmêmemal, desstadesdont chacunpréparelesuivant dansl’ensemble
d’un processus de chute » (18).
Faceàcetteévolutionnégative, Evolaplaceenpolitiquetoussesespoirsdans
l’Etat. Maispuisquepour lui c’est toujoursle« bas »qui doit dériver du« haut », et
non l’inverse, il importe que cet Etat ne procède d’aucun élément « inférieur ».
Rejetant touteslesdoctrinesclassiquesqui font del’Etat laformeorganiséedela
nation, leproduit delasociétéoulacréationdupeuple, il affirmedonc—et réaffirme
sanscesse— quec’est aucontrairel’Etat qui doit fonderlanation, mettrelepeuple
enformeet créer lasociété. « Lepeuple, lanation, écrit-il, n’existent qu’entant
qu’Etat, dansl’Etat et, dansunecertainemesure, grâceàl’Etat »(19). Cet Etat doit
sefonder exclusivement sur desprincipessupérieurs, spirituelset métaphysiques.
C’est seulement ainsi qu’il seraun« Etat vrai », un« Etat organique », nonpas
transcendant par lui-même, mais fondé sur la transcendance de son principe.
Cet « étatisme »est certainement cequ’il yadeplusfrappant danslapensée
politique d’Evola. Sans doute est-il assorti d’un certain nombre de précisions
destinées à dissiper tout malentendu. Evola prendainsi le soinde direque la
« statolâtriedesmodernes », tellequ’onlatrouveparexemplechezHegel, n’arienà
voir avecl’« Etat vrai »tel qu’il l’entend. Il souligneaussi quebiendesEtatsforts
ayant existédansl’histoirenefurent quedescaricaturesdecelui qu’il appelledeses
vœux. Il critique d’ailleurs avec vigueur le bonapartisme, qu’il qualifie de
« despotismedémocratique », commeletotalitarisme, danslequel il voit une« école
de servilité » et une « extension aggravante du collectivisme ». Le primat qu’il
attribueàl’Etat n’enest pasmoinssignificatif, surtout lorsqu’onlerapporteàcequ’il
dit dupeupleet delanation. Tandisquelanotiond’« Etat »apresquetoujourschez
lui une connotation positive, celles de « peuple » ou de « nation » ont presque
toujoursunevaleur négative. L’Etat représentel’élément « supérieur », tandisquele
peupleet lanationnesont quedes éléments« inférieurs ». Qu’il soit demosou
ethnos, plebsoupopulus, lepeuplen’est auxyeuxd’Evolaque« simplematière »à
conformer par l’Etat et ledroit. Il envademêmedelanationet delapatrie. Des
termes comme « peuple », « nation », « société », apparaissent même dans ses
écritscommepratiquement interchangeables : touscorrespondent àladimension
purement physique, « naturaliste », indifférenciée, fondamentalement passive, dela
collectivité, àladimensiondela« massematérialisée »qui, par oppositionàla
formequeseulepeut conférer l’Etat, restedel’ordredelamatièrebrute. Evolase
situedecepoint devueàl’exact opposédesthéoriciens duVolksgeist, comme
Herder : lepeuplenesaurait représenterpourlui unevaleurensoi, il nesaurait être
ledépositaireprivilégiédel’« esprit »créateur d’unecollectivitédonnée. Evolaest
tout aussi indifférent àlaquestionduliensocial, voireausocial lui-même, qu’il
englobevolontiersdansl’« économico-social », autredésignationchezlui dumonde
del’horizontal oudurègnedelaquantité. « Tout cequi est social, écrit-il, selimite,
danslameilleuredeshypothèses,àl’ordredesmoyens »(20). C’est pourquoi l’onne
trouve pas chez lui de pensée sociologique, ni d’ailleurs de véritable pensée
économique.
Ceregardposésur lepeuplen’expliquepasseulement l’hostilitéd’Evolaenvers
touteformededémocratieoudesocialisme, fût-il « national »(21). Il est également
sous-jacent àsacritiquedunationalisme. Celle-ci reposeenfait sur deuxéléments
distincts : d’unepart uneadhésionaumodèledel’Empire, contrelequel sesont bâtis
lesroyaumesnationauxet lesnationalismesmodernes—Evolasouligneici avec
bonheurquel’idéed’Empiren’arienàvoir aveclesimpérialismesmodernes, qui ne
sont engénéral quedesnationalismesaggravés—, et d’autrepart, l’idéequela
nation, commelapatrie, est d’essencefondamentalement « naturaliste »entant
qu’elleressortit àlafoisaudomainedela« quantité »et aupur« sentiment ». Evola
admet certesquelenationalismevautmieuxquelecosmopolitismepolitique, dansla
mesureoùil représenteunniveaud’existenceplusdifférencié, et qu’il peut ainsi
constituer le « prélude d’une renaissance », mais il n’en décrit pas moins le
nationalismecommeunedoctrinesentimentaleet naturaliste, qui trouvesonprincipe
dansleprimat ducollectif et, decefait, s’accordemal avecsaconceptiondel’Etat.
Se « dissoudre »dans lanationvaut à peinemieux quese« dissoudre »dans
l’humanité (22).
Serefusantàfairedel’Etat l’expressiondelasociétéet réagissantcontreceuxqui
voient dansl’Etat unesortedefamilleagrandie(oùlesouverainjouerait lerôledu
pater familias), Evolaenexpliquel’origineàpartir dela« sociétéd’hommes ». Il
rejoint ici HansBlüher, qui plaçait lui aussi les anciennes « Männerbünde »àla
sourcedetoutevéritableautoritépolitique. Cettesociétéd’hommesest àconcevoir
d’abordcommeuneassociationexclusivement masculine, ensuitecommelieude
regroupement d’uneélite. Laformed’association« virile »par excellenceest pour
Evolacelledel’Ordre. Lesexemples qu’il donnesont principalement l’Ordredes
Templiers et celui des Chevaliers teutoniques.
Lanotiond’Ordrepermet decomprendretout cequi séparel’élitismeprônépar
Evola, élitisme essentiellement éthique, de l’élitisme libéral ou méritocratique.
Appartient à l’élite, non le « meilleur » au sens darwinien du terme ou le plus
performant ausensdePareto,maiscelui chezqui l’ethosdominesurlepathos, celui
qui a« lesensd’unesupérioritévis-à-visdetout cequi n’est quesimpleappétit de
“vivre” »(23), celui qui afait siens« leprinciped’êtresoi-même, unstyleactivement
impersonnel, l’amour deladiscipline, unedispositionhéroïquefondamentale »(24).
L’éliteest doncd’abordchezlui unearistocratie. Elleincarneune« racedel’esprit »,
untypehumainparticulier qu’Evoladéfinit comme« hommedifférencié », et dont il
posel’avènement (oularenaissance) commeunpréalableindispensableàtoute
actionsur lemonde : « Cequ’il faut favoriser, c’est [...] unerévolutionsilencieuse,
procédantenprofondeur, afinquesoientcrééesd’abordàl’intérieuret dansl’individu
lesprémissesdel’ordrequi devraensuites’affirmer aussi àl’extérieur, supplantant
enunéclair, aubonmoment, lesformeset lesforcesd’unmondedesubversion »
(25).
Sa propositionfinale, toujours lamême, est donc d’enrevenir àl’Idéeet de
susciter lanaissanced’unOrdre, auseinduquel seretrouveraient des hommes
supérieursrestésfidèlesàcetteIdée : « Nepascomprendreceréalismedel’Idée
signifierestersurunplanqui est, aufond, infrapolitique :leplandunaturalismeet du
sentimentalisme, pour nepasdirecarrément delarhétoriquepatriotarde[...] Idée,
Ordre, élite, Etat, hommesdel’Ordre—qu’encestermessoit maintenuelaligne,
tant quecelaserapossible »(26) ! CetteconsigneachezEvolavaleur desolution.
Qu’uncertaintypeéthiquesurgisseouresurgisse, et lesproblèmes politiqueset
sociaux seront, sinon résolus, du moins « simplifiés » : « Lorsque cet esprit
s’affirmera, denombreux problèmes, ycomprisd’ordreéconomiqueet social, se
simplifieront »(27). Lapositionadoptéepar Evolafaceauxproblèmespolitiquesest
doncendéfinitivecelled’unélitismeéthiqueàfort contenu« viril », déduit d’une
conception métaphysique de l’histoire.
La polarité masculin-féminin
Aupremier abord, JuliusEvolapeut apparaîtreàl’historiendesidées comme
l’incarnationtypique,et mêmeextrême,duthéoricienantidémocratique,théoriciende
l’élitismearistocratiqueet desvaleursd’« AncienRégime », adversaireimplacable
desidéesde1789, detout cequi leurapermisd’apparaîtreet detout cequi enest
issu. C’est d’ailleursbienainsi qu’il asouvent étéconsidéré. MaisnevoirEvolaque
decettefaçon, c’est perdredevuecequi fait sonoriginalitéet lerendenfinde
comptesi malaisément classabledansl’histoiredelapenséepolitique. Plutôt quede
résumer oudeparaphraser sesidées, ainsi qu’onlefait souvent, nousvoudrions
montrer quesonapprochedelapolitiqueouvredes interrogations et posedes
problèmesquel’onvoudrait cernerici, sansnécessairement yrépondreouprétendre
les résoudre.
Onadéjàévoquélafaçondont Evolaopposel’Etat et lepeuple. Cetteopposition
n’est pasensoi originale. Cequi est enrevanchetrèssingulier chezEvola, c’est le
parallèlequ’il fait constamment entrecetteoppositionet lapolaritémasculin-féminin,
surlabasedel’anciennesymboliqueanalogiquedelaformeet delamatière. « Pour
lesAnciens, écrit-il, la“forme”adésignél’esprit,la“matière”lanature, lapremièrese
rattachant à l’élément paternel et viril, lumineux et olympien [...] la seconde à
l’élément féminin, maternel, purement vital »(28). L’idéequ’il endéduit est que
« l’Etat setrouvesouslesignemasculin, la“société” et, par extension, lepeuple, le
demos, souslesigneféminin »(29). Cetteidéeétait déjàprésentedansRévolte
contrelemondemoderne : « L’Etat est aupeuplecequeleprincipeolympienet
ouranienest auprincipechtonienet “infernal” ; l’Etat est commel’“idée”et la“forme”
(nous)parrapport àla“matière”et àla“nature”(hylè), il setient doncdanslerapport
d’unprincipelumineux, masculin, différenciateur, individualisant et fécondateur face
àunesubstanceféminine, instable, hétérogèneet nocturne. Cesont làdeuxpôles
entrelesquelsil existeunetensionintime. Danslemondetraditionnel, celle-ci se
résoudpar unetransfigurationet unestructurationd’enhaut »(30). Danslemême
livre, Evolaaffirmait déjàque« l’attachement plébéienàlaPatrie, qui s’affirmaavec
laRévolutionfrançaiseet qui fut développépar lesidéologiesnationalistesentant
quemystiquedelaraceet, précisément,delaMèrePatriesacréeet toute-puissante,
est lareviviscenced’uneformedetotémismeféminin »(31). DansLeshommesau
milieudesruines, il ajoute : « Lesconceptsdenation, depatrieet depeuple[...]
appartiennent par essenceauplan“naturaliste” et biologique, nonauplanpolitique,
et correspondent àladimension“maternelle”et physiqued’unecollectivitédonnée »
(32). Et encore : « L’image de la Patrie en tant que Mère, en tant que Terre dont nous
sommestouslesfilset par rapport àlaquellenoussommestouxégauxet frères,
correspondclairement àcet ordrephysique, fémininet maternel, dont, commenous
l’avonsdit, seséparent les“hommes” pour créer l’ordreviril et lumineuxdel’Etat »
(33).
Onpourrait multiplierlescitations. Noussommeslàenprésenced’uneconstante
majeuredelapenséed’Evola, enmêmetempsqued’untrait qui ledistingueencore
trèsnettement par rapport auxautrespenseursdelaTradition. Jean-Paul Lippi va
mêmejusqu’àécrire, àjustetitreànotreavis, quelavisiondumondeévolienne« se
déploietout entière, ycomprisdanssadimensionproprement politique, àpartirdela
bipolarité masculin-féminin » (34), et que « l’interprétation métaphysique du
phénomène politique à laquelle se livre Evola ne prend sens que d’être
surdéterminéepar l’importancequerevêt chezlui labipolaritémasculin-féminin »
(35).
Disonspour fairebref quechezEvola, la« virilité »est constamment associéeà
des notions telles quela forme, la surnature, l’esprit, la raison, l’abstraction, la
luminosité« solaire », laverticalité, l’absolu—la« féminité »évoquant aucontraire
lamatière, lanature, l’âme, lesentiment, leconcret, lesténèbres« chtoniennes »ou
« lunaires », l’horizontalité, lerelatif, etc. Laquestionqui surgit alorsest desavoir
comment doivent se poser ous’articuler les rapports entre ces deux séries de
termes.
Acettequestion, Evolaapporteuneréponseambiguë. Lorsqu’il parledel’homme
et delafemme, il insisteàmaintesreprisessurlacomplémentaritédessexeset sur
lefait que, dufait deleurdifférencemême, laquestiondeleursupérioritéoudeleur
inférioritérespectiveest dépourvuedesens. Cependant il affirmeaussi quec’est
bienl’élément masculin, posécommeformeautonome, qui doit imposer samarque,
son empreinte, à l’élément féminin, posé comme matière hétéronome. La
complémentaritévadoncdepair aveclasubordination. C’est unecomplémentarité
hiérarchisée, fondée sur la prééminence du premier terme (masculin, donc
anagogique) sur le second (féminin, donc catagogique). C’est d’autre part une
complémentarité non dialectique, et même ouvertement anti-dialectique,
puisqu’Evolaaffirmeque« dupoint devuedel’éthiquetraditionnelle, est mal et
antivaleur cequi est masculinchezlafemmeet cequi est fémininchezl’homme »
(36).
MaisEvolanesebornepasàposerlapolaritémasculin-fémininàl’intérieurdela
société. Il enfait aussi uneclef desaconceptiondel’histoireet desavisiondes
rapportsentrelescultureset lescivilisations. C’est ainsi qu’il opposelescivilisations
issuesdela« LumièreduNord »—la« Traditionprimordiale »est pour lui d’origine
« hyperboréenne ou nordico-occidentale » —, porteuses d’un ethos viril,
« lumineux », et d’unespiritualitéhéroïqueet guerrière, auxculturesduSud, qui
correspondent àsesyeuxau« mondechtonien »delaMèreet delaFemme. Orici,
il n’yaplusdutout complémentarité, maisoppositionirréductible. Evolaledit avecla
plusgrandenetteté : « Deuxattitudessont possiblesfaceàlaréalitésurnaturelle.
L’uneest solaire, virile, affirmative, correspondant àl’idéal delaroyautéet dela
chevaleriesacrée. L’autreest lunaire, féminine, religieuse, passive, correspondant à
l’idéal sacerdotal. Si lasecondeappartient principalement auxculturessémitiqueset
méridionales, la noblesse de race nordique et indo-européenne a toujours été
solaire »(37). CequeRomeeut deplusromain, dit-il encore, s’est formé« àtravers
une lutte incessante du principe viril et solaire de l’Imperiumcontre un obscur
substrat d’élémentsethniques, religieuxet mêmemystiques[...] oùlecultetellurique
et lunairedesgrandesDéessesMèresdelanaturejouait unrôletrèsimportant »
(38). Sur le plan mythologique, les dieux célestes, diurnes, virils, olympiens,
s’opposent auxdivinitéschtoniennes, nocturnes,terrestres, fémininesetmaternelles,
« chèressurtout auxcouchesplébéiennes »(39). Sur leplansocial, lepatriarcat
indo-européen est censé contraster pareillement avec le « matriarcat oriental » (40).
Cette« lutteincessante »neselimitepasselonEvolaàlaseuleAntiquité. Elle
constitueaucontraireàsesyeuxl’undesélémentscentrauxdel’histoire, dansla
mesureoùleprocessusdedécadencequ’il stigmatiserésideprécisément dansla
montée progressive des valeurs propres au monde chtonien matriarcal et
gynécocratique, aumondedes« racesobscures »et « lunaires », et dansledéclin
corrélatif desvaleurspropresàl’esprit viril « olympien »et « hyperboréen », queles
premièresmenacent constamment de« dissoudre »(41). Lescritiquesqu’il adresse
àsesadversairessont decepoint devuesanséquivoque. Auchristianisme, qu’il
décrit soussaformeprimitivecommeune« religiontypiquedukali-yuga »(42), il
reproched’avoir contribué, entant quereligiondel’« amour », porteusedel’idée
« lunaire »d’égalitémoraledetousleshommes, àla« dévirilisationspirituelle »de
l’Occident. Il accuseles guelfes, adversairesdesgibelinslorsdelaquerelledes
investitures, d’avoir véhiculé la « vieille conception gynécocratique » d’une
« dominationspirituelleduprincipematernel surleprincipemasculin »(43). Quandil
dénonce la démocratie et le socialisme, c’est pour dire qu’avec eux aussi
« s’accomplit latranslationdufémininaumasculin »(44), parcequeledemos, étant
« fémininpar nature », n’aurajamais« devolontépropreet claire »(45) : la« loi du
nombre », caractéristiquedu« règnedelamasse », est doncelleaussi d’inspiration
« gynécocratique ». Demême, quandil s’enprendàl’art moderne, c’est pour y
constater lamanifestationde« tendances intimistes, expressions caractéristiques
d’une “spiritualité” féminine » (46). Ailleurs, il se réfère à Otto Weininger pour
souligner lesaffinitésdel’esprit fémininet del’esprit juif. Il dénoncemêmedansle
racisme biologique une doctrine caractéristique du règne dela quantité, dont il
soulignelecaractère« naturaliste », et doncféminin. Inversement, s’il fait l’élogede
l’autarcieéconomique, c’est quecelle-ci lui apparaît commeunetranspositionde
l’idéemasculined’autonomiedesoi, cequi suffit àlui conférerunevaleur« éthique »
(47).
Il n’est doncpas douteux que, pour Evola, letrait leplus évident delacrise
existentiellemodernerésidedansl’effacement dela« virilitéspirituelle »—titredu
chapitre7deRévoltecontrelemondemoderne—sousl’effet, d’aborddelamontée
des valeurs féminines, puis de la tendanceà l’indifférenciationdes sexes. « La
diffusionpandémiquedel’intérêt pour lesexeet lafemme, écrit-il, caractérisetoute
époquecrépusculaire[...] Lapandémiedusexeest l’undessignesducaractère
régressif del’époqueactuelle[dont la] contrepartienaturelleest lagynécocratie, la
prédominancetacitedetoutcequi, directementouindirectement, est conditionnépar
l’élément féminin »(48). « Ainsi placéesouslesignedel’involution, remarqueJean-
Paul Lippi, l’histoire [...] apparaît comme un processus de féminisation » (49) ;
l’histoireest « dominationsanscesseaccentuéedupôlefémininsurlepôlemasculin
del’être »(50). Lamodernités’assimiledèslorsàun« retourdumatriarcat », àune
« matière »émancipéedetoute« forme ». Lamorphogenèsedelamodernitéest
avant tout dévirilisante et potentiellement castratrice.
Onest évidemment frappépar cettefaçondont, chezJuliusEvola, leprincipe
fémininoulesvaleursfémininessont toujoursreprésentéscommeunemenacepour
la« puissancemasculine », commeunrisquede« destitutiondelavirilité »(51). On
l’est d’autant plusqu’Evola, danslamesuremêmeoùil seveut àlafoissouverainet
guerrier, attacheàlanotiondepuissance, aveclaquellelalecturedeNietzschel’a
familiarisédanssajeunesse, uneimportancedécisive. Entant quecaractéristiquela
plusévidentedelavirilité, affirmait-il danslesannéesvingt, lapuissancetired’elle-
même sa propre justification. Elle est le « principe de l’absolu », l’« arbitraire
causalitéinconditionnée », l’« agir qui sejustifiedelui-même ». Par lasuite, allant
unefoisdeplusàcontre-courant desautrespenseursdu« traditionalismeintégral »,
Evolan’a jamais hésité àdéfinir la Tradition comme étant avant tout « force »,
« énergie », « puissance ». Son deuxième livre, paru en 1926 et consacré au
tantrisme, s’intitulait L’hommecommepuissance(Leyogadelapuissancedans
l’éditiontransforméede1949). Letantrismeest eneffet d’abordune« visiondu
mondecommepuissance »(52), unedoctrinequi conçoit lecorpscommeunvaste
réservoir depuissance(Çakti). Cettethématiquedela« puissance »est detoute
évidenceliéechezEvolaàcelledela« virilitéspirituelle ». Lecontrastequi apparaît
ici entrelaTraditioncommepuissanceet lamodernitécommecastrationpotentielle,
mise en danger de la virilité, n’en est que plus parlant.
Les remarques qui précèdent ne permettent sans doute pas de dissiper
l’ambiguïtéévoquéeplushaut àproposdesrapportsentrel’Etat « masculin »et le
peuple« féminin »danslapenséeévolienne, maisellespeuvent aider àlacerner.
Cetteambiguïtétient aufait quelemodèlebipolaireauquel seréfèreEvolaest utilisé
tantôt pour fonder une complémentarité hiérarchisante, tantôt pour illustrer une
oppositionirréductibleouuneincompatibilitéradicale. Dansbiendescas, observe
Jean-Paul Lippi, Evolaparaît « privilégier lahiérarchisationdespôlesmasculinet
fémininpar rapport àleurcomplémentarité, cequi leconduit pratiquement àexclure
lesecond »(53). Maislahiérarchisationsupposeencoreuneunité, elleimpliqueun
englobement àl’intérieur d’unemêmestructure. Or, leplussouvent, il nefait pasde
doutequecen’est paslacomplémentariténi l’englobement hiérarchisant qu’Evola
recommandevis-à-visdesvaleursféminines, maisbienplutôtleurmiseàl’écart, leur
relégationàdistanceet unelutteactivecontretout cequ’ellesreprésentent. Les
valeurs féminines sont alors définies comme des valeurs ennemies, avec lesquelles il
n’est pasquestiondumoindrecompromis. Quedoit-il enêtrealorsàl’intérieur dela
société ?
Il semblebienenfait que, pour Evola, leshommesnepuissent apparteniràl’élite
—surtout quandcelle-ci serassembleauseind’unOrdre—qu’enseséparant des
femmes. Il déclareeneffet explicitement queleshommesnepeuvent créer l’« ordre
viril et lumineuxdel’Etat »qu’enseséparant del’« ordreféminin »(54). Il prônela
renaissanced’un« mondeclair, viril, articulé, fait d’hommeset dechefsd’hommes »
(55). Par ailleurs, il necachepassafaveur pour lecélibat, voirepour lerefusde
l’enfant, enaffirmant qu’il est bonpour leshommeslibreset créateursd’êtresine
impedimentis, sans rien qui les attache ou les limite : « L’idéal d’une “société
d’hommes” nesaurait êtrecelui, paroissial et petit-bourgeois, qui consisteàavoir
“unemaisonet desenfants” ». Il seflattelui-mêmed’avoir toujoursvécu« étranger
auxroutinesprofessionnelles, sentimentaleset familiales »(56). Commepour saint
Paul, lemariagen’est pourlui qu’unpis-aller. Maissamiseengardevatrèsau-delà
d’unméprisjustifiépour la« petiteviebourgeoise ». Il yadanssesadmonestations
quelquechosequi, nonseulement fait delafemmeunemenaceintrinsèquepour la
« virilité », maistendàdévaluer tout cequi est del’ordredusimplement vivant, du
simplement naturel, dusimplement charnel. Danscettecritiquedu« naturalisme »et
dela« chair », commedanssadénonciationdel’« absurditédelaprocréation », il
n’est pasexcessif dedéceler chezlui unetendance« gnostique », qu’onpourrait
aussi bien qualifier de marcionite ou de cathare.
L’individualisme évolien
Uneautreinterrogationquesoulèvelapenséepolitiqued’Evolaatrait aurôleque
jouechezlui lanotiond’individu. Si l’ons’entient àsacritiquedulibéralismeentant
quedoctrinefondéesur l’individualismeet sur uneconception« informe »dela
liberté, critiqued’untypetout àfait classiquedanslesmilieuxantilibéraux, onest
évidemment amenéàconclurequ’unetellenotionn’achezlui qu’unerésonance
négative. Toutefois, si l’onprendencomptesonévolutionpersonnelleet si l’onmet
enperspectivetout cequ’il apuécriresurlesujet, ons’aperçoit assezvitequecette
problématique est chez lui plus complexe qu’il n’y paraît.
Danslesannéesvingt, lejeuneJuliusEvolaaeneffet commencépar professer
un« individualismeabsolu ». Il amêmerédigéàcetteépoqueunouvrageimportant,
Teoriaefenomenologiadell’Individuoassoluto, qui donnafinalement naissanceà
deux livres distincts (57) dont il n’hésitait pas à dire alors qu’ils représentaient
l’« exposé systématique et définitif » de sa « doctrine » (58). Cet individualisme
professépar Evoladurant sapériodedadaïsteseressent surtout del’influencede
l’idéalismeallemand, delapenséedeNietzscheet del’anarchismeindividualistede
MaxStirner. Evolasefixealorspour but d’énoncer unethéoriephilosophiquequi
s’efforcerait deporter l’idéalismejusquedanssesplusextrêmesconséquencesen
exrimant l’« exigenced’auto-affirmationabsoluedel’individu ». Par lasuite, il dira
d’ailleursavoir tirédelalecturedeNietzscheavant tout l’idéed’unerévoltefondée
sur « l’affirmationdesprincipesd’unemoralearistocratiqueet desvaleursdel’être
qui selibèredetout lienet est àlui-mêmesapropreloi »(59)—formulationqui n’est
pasdénuéed’ambiguïté, puisquedansladoctrinelibéraleaussi l’individu, entant
qu’il est poséd’embléecommeautosuffisant, est « àlui-mêmesapropreloi ». De
fait, l’« individuabsolu »est celui qui seposedepar saproprevolontécommele
principe central et l’arbitre de toute détermination. Sa volonté, étant dégagée de toute
contrainte, de toute limitation, est libre au double sens d’arbitraire et
d’inconditionnée ; elleest synonymedepuissancepure. L’individuabsoluvoit donc
l’existencecommeprocès continud’affirmationdesoi, celle-ci étant dégagéede
touteespècedecontingenceet dedétermination. Il yadanscettevisionuncertain
caractèresolipsiste : l’individuuniqueet absoluest enfindecompteàsespropres
yeux tout ce qui existe.
Laquestionqu’il faut seposer est desavoir si le« typed’homme »prônépar
Evoladanssesécritspolitiquesest trèséloignédecet individuabsoluverslequel il
tendait danslesannéesvingt,ous’il n’existepascertainessimilitudesentrel’individu
absolu, centredepuissanceet devolonté, chezqui lavolontéd’êtreet lavolontéde
dominer nefont qu’un, et l’hommeabsolument souveraintel queleredéfiniraEvola
dans le cadre de sa vision traditionaliste.
C’est au tout début des années trente qu’Evola semble avoir abandonné ou
modifiéses présupposés individualistes. Apartir decettedate, il reprendàson
comptelacritiqueopposant classiquement l’individuet lapersonne, et dénonceun
individualismedanslequel il necesseraplusdevoir l’« essencedulibéralisme ».
L’individualisme, dèslors, nefondeplusl’attitudearistocratique, maislacontredit
directement. Il n’est plussynonymedesupérioritéindividuelle, maisd’universalisme
égalitaireet dedissolutionsociale. Cependant, alors quelacritiqueclassiquede
l’individualisme lui oppose régulièrement des entités collectives (peuple, nation,
communautés, etc.) dans une perspective résolument holiste, en accusant
l’individualismelibéral dedétruirelecaractèreéminemment organiquedecesentités,
Evola emprunte une voie totalement différente. Il y a là bien entendu, comme
toujourschezlui, unegrandecohérence : danslamesureoùtoutecommunauté, tout
groupe collectif, relève à ses yeux d’un niveau « naturaliste » inférieur, d’une
dimensionféminined’« enbas », il nesaurait êtrequestionpour lui deplacer le
peuple, lasociétéoulanationau-dessusdel’individu. C’est doncaunomd’une
autre conception de l’individu, celle de l’individu « différencié », qu’Evola va
combattre l’individualisme libéral. Al’individualisme qui pense l’individu comme
atomeindifférencié, commeélément « atomique »,Evolaopposeuneconceptionqui,
par différenciationssuccessives, tendversl’idéal dela« personneabsolue » : « Etre
simplement “homme”est unmoinspar rapport aufait d’êtrehommedansunenation
donnéeet unesociétédonnée, maisceci est àsontour unmoinspar rapport aufait
d’êtreune“personne”, qualitéimpliquant déjàlepassageàunplanqui est plusque
simplement “naturaliste”et“social”. Asontour, lapersonneconstitueungenrequi se
différencie lui-même en degrés, fonctions et dignités [...] selon une structure
pyramidale, ausommet delaquelledevraient apparaîtredestypesplusoumoins
prochesdelapersonneabsolue—c’est-à-direcellequi présenteleplushaut degré
deréalisationet constitue, àcetitre, lafinet lecentredegraviténaturel detout
l’ensemble » (60).
L’usagedumot « personne », qu’Evolaopposeàl’« individu », nedoit pasici faire
illusion. Alorsquelacritiqueantilibéraleclassiquedonnedecetermeunedéfinition
mettant immédiatement l’accent sursadimensionsociale—lapersonneentant que
sujet concret, inscrit et saisi dansuncontextedonné, par oppositionàl’individu
commesujet abstrait coupédesesappartenances—, Evolalui donneunetout autre
définition. Lapersonne,chezlui,nesedéfinitnullement parsesappartenances, mais
par lefait qu’elleest « ouvertevers lehaut », c’est-à-direqu’elleadhèreàdes
principes supérieurs. Etre une personne, dans cette acception, ce n’est pas
appartenir àunesociétéouàunecommunautédetypeorganique, maisfairepartie
d’une élite. C’est là un point essentiel, trop souvent perdu de vue.
Si l’on reprend l’opposition classique tracée par Louis Dumont entre
l’individualismeet leholisme(61), Evolanesesituedonc nullement ducôtédu
holisme. Touteslesdoctrinesholistessoutiennent quel’hommeest indissociablede
sesappartenances, quel’onnesait dequel hommeonparlequelorsqu’onsait aussi
àquellecollectivitéil appartient. Ellesajoutent quel’humanitén’est pascomposée
d’individus, mais d’ensembles d’individus : peuples, communautés, cultures, etc.
Evolaaffirmeaucontrairequelapersonneachevéeest enquelquesorteaffranchie
detoutedimensionsociale, précisément parcequ’elles’est dégagéedetout cequi
est « inférieur ». Or, lelibéralismeest aussi ladoctrineselonlaquellel’hommen’est
pasimmédiatement ni fondamentalement social, cequi fondesaconceptiondela
libertécommedroit individuel àdisposerlibrement desoi. C’est pourquoi EnricoFerri
apuaffirmerqu’àl’individualismeégalitaire, Evolaseborneàopposerune« version
aristocratique de l’individualisme », en ajoutant que « les principales thèses
fondatricesdel’individualismesont enfait également partagéespar letraditionaliste
Evola, lapremièreétant quelanaturehumaineest individuelleet quel’humaniténe
secomposepasd’ensembles sociaux, mais d’individus »(62). Lepoint commun
entrelelibéralismeet lapenséeévolienneserait ici quelasociéténeprimepas—
quecesoit sur lapersonneousur l’individu. Unautrepoint commun, découlant du
précédent, est une même hostilité viscéraleenvers l’idéede « justicesociale »,
mêmesi celle-ci s’exprimebienentenduàpartir deprémissesdifférentes. « Toute
thèse“sociale”,écrit Evola, estunedéviation,solidairedelatendanceaunivellement
régressif [...] si bienquel’individualismeet l’anarchisme, neserait-cequ’àtitrede
réactioncontrecettetendance, ontincontestablement uneraisond’être, uncaractère
moins dégradant » (63). Cette dernière remarque est significative.
QuandEvoladénoncel’universalismepolitiqueoulecosmopolitisme, cen’est
doncpastant parcequecet universalismefait bonmarchédesidentitéscollectives
queparcequelanotiond’« humanité »représenteàsesyeuxcequ’il yadeplus
éloignédel’individutel qu’il leconçoit.Lepeupleoulanation, onl’adit, valent mieux
pour lui quel’humanité, mais seulement dans lamesureoùilsreprésentent des
niveaux plus différenciés. Ils sesituent enrevanche bien en dessous de l’élite
aristocratique, qui est porteusedevaleurssupérieuresàtout intérêt delacollectivité,
et dont lerôleest d’accélérer « leprocessusqui mènedugénéral aucollectif et du
collectif àl’individuel [soulignépar nous], directionqui est celledetout progrès
véritable »(64). Lapersonnedifférenciée, end’autrestermes, primesur touteentité
collective ou sociale, quelle qu’elle soit.
ChristopheBoutin, auteurd’uneimportantebiographieconsacréeàJuliusEvola, a
crupouvoirdécelerchezcedernierune« natureprofondedeguerrierindividualiste »
(65). S’il est individualiste, c’est enfait àlafaçondel’individuqui s’éprouvelui-
même, àtort ouàraison, commeabsolument supérieuràlamasse. L’individualisme
est doncchezlui indissociabledel’élitisme, aveccequecelasupposed’horreur du
conformisme, de refus d’être « comme les autres » —attitude évidemment
susceptibledemener dansdesdirectionsbiendifférentes. Cet élitismeconstituele
dénominateurcommundetouteslespériodesdesonexistence. Toutesaviedurant,
Evola a voulu se distinguer d’une « plèbe » vis-à-vis de laquelle il n’a jamais
dissimulésonmépris. Il s’enest distinguécommedandy, commedadaïste, comme
tenant del’individuabsolu, puiscommereprésentant d’uneécoletraditionalistequi a
fourni à son élitisme de puissantes justifications doctrinales. Son goût pour
l’ésotérisme, la magie, l’alchimie ou l’hermétisme, consonne lui-même fortement
aveccesentiment d’apparteniràunpetit nombre(l’« Ordre »)et d’êtrelui-mêmeune
« personneabsolue » : l’ésotérismes’adresse par définition àdes « initiés ». On
pourrait diredecepoint devueque, chezEvola, lavolonté(et lesentiment) dene
pas être« commeles autres »aprécédé, et nonpas suivi, l’énoncédecequi
justifiait cetteprisededistanceet dehauteur, c’est-à-direlaclaireconsciencedes
raisonsd’unetelleattitude. Sonoppositionradicaleaumondeenvironnant n’acessé
d’osciller entrelerefuset lanégation, quecesoit danssajeunesseaunomdela
libertéinconditionnéedel’individuabsolu(lemondeextérieur commeinexistant ou
purelimitationdumoi)ou, danssapériodedematurité, aunomd’unemétaphysique
de l’histoire interprétant toute l’histoire advenue comme déclin et dévaluant
absolument la période présente en tant que fin de cycle.
Peut-êtreest-ced’ailleursàcettetendanceausolipsismequ’il faut rattacher ce
que dit Evola à propos de l’« impersonnalité active ». Par cette formule, Evola
désignel’hommequi adépassésonmoi proprement humainet qui s’élèveauniveau
métaphysiqueenagissant conformément auxseulsprincipes. Maisil resteàsavoir
comment l’« impersonnalité active » peut être encore le fait d’une « personne
différenciée ». Les chosess’éclairent si l’onadmet quel’« impersonnalitéactive »
caractériseavant tout le« roi dumonde », qui gouvernelemondeàlafaçondont
l’étoile polaire « gouverne » le ciel : par une immobilité d’où paraît dériver tout
mouvement. Evoladit quelebut final del’existencedel’éliteest defaireapparaître
« lepremier desaristocrates »(66), leMonarque, enqui semanifeste« quelque
chosedesupra-personnel et denonhumain »(67). Untel Monarqueest àcertains
égardsàlafoislecentredumondeet lemondeàlui tout seul —souveraineté
absolue, liberté absolue, puissance absolue.
Etat organique ou société organique ?
Julius Evola qualifie fréquemment l’Etat qu’il appelle de ses vœux d’« Etat
organique ». Il affirme ainsi que « tout véritable Etat a toujours eu un certain
caractère d’organicité » (68). Il déclare que l’« authentique structure impériale »
pourrait sedéfinir commeun« organismecomposéd’organismes »(69). Il parle
également d’une « analogie naturelle existant entre l’être individuel et ce grand
organismequ’est l’Etat »(70). Il sembleainsi adopterlepoint devuedesthéoriciens
politiques de l’organicisme. La notion même d’« Etat organique » a néanmoins
quelquechosedeproblématique. JuliusEvolaest eneffet l’adversairedetouteforme
de« naturalisme ». Il n’aqueméfiancepour tout cequi est del’ordredubiologique.
La question est donc desavoir comment cet antinaturalisme rigoureux peut se
concilier avec son « organicisme ».
Quelaqualitéd’« organique »soit attribuéepar Evolaàl’Etat est déjàrévélateur.
Les théoriciens politiques de l’organicisme —à la possible exception d’Othmar
Spann—neparlent eneffet pratiquement jamaisd’« Etat organique ». Ilsparlent
plutôt desociétéorganique, decultureorganique, decommunautésorganiques, etc.
Et lemodèleauquel ilsseréfèrent est incontestablement unmodèleempruntéaux
sciencesdelavie : unesociétéenbonnesantéest unesociétéoùil ya, dansles
rapportssociaux, autant desouplessequ’il enexisteentrelesorganesd’unêtre
vivant. On comprend bien, évidemment, que si Evola préfère parler d’« Etat
organique », c’est que pour lui l’Etat est incommensurablement supérieur à la
société. Mais un Etat peut-il être lui-même organique ? Pour les théoriciens
classiquesdel’organicisme, laréponseest généralement négative : seulelasociété
peut êtreorganique, précisément parcequ’unorganismesedéfinit commeuntout et
qu’il nesaurait doncseramenerous’identifieràl’unequelconquedesesparties, fût-
ellelapluséminente. Unesociétéorganiquepeut bienentenduavoirdesinstitutions
fonctionnant detellefaçonqu’ellesenmaintiennent lecaractèreorganique, maisces
institutions nesauraient elles-mêmes être qualifiées d’organiques : unEtat n’est
jamaisunorganismeàlui tout seul. Danslaperspectiveorganicisteclassique, il est
mêmeleplussouvent cequi menaceleplusl’organicitédelasociété. Evolaécrit
qu’« unEtat est organiquelorsqu’il auncentreet quececentreest uneidéequi
modèleefficacement, par saproprevertu, sesdiversesparties »(71). Aucontraire,
pour l’organicismeclassique, unesociétéad’autant moinsbesoind’un« centre »
qu’elleest précisément organique, car cequi définit l’organicitéducorpssocial, ce
n’est pas sa dépendance par rapport à un centre (la « tête »), mais bien la
complémentarité naturelle de toutes ses parties.
L’« organicisme »d’Evolaest donctrèsdifférent del’organicismeclassique. Ce
dernier, qui a le plus souvent partie liée avec les doctrines holistes, tend
systématiquement à dévaloriser l’Etat et les institutions étatiques, considérées
commeintrinsèquement « mécanistes », et àdonnerlerôleprincipal auxcollectivités
debaseet aupeuple. L’organicité, chezlesthéoriciensdel’organicisme, est toujours
associé à ce qui est « en bas » et à ce qui est « spontané ». Leur critique, en général,
consiste à opposer à une conception mécanique, rationalisée, abstraite, voire
excessivement « apollinienne »del’existencesociale, lesprérogativesduvivant, du
sensible, du charnel, manifestées dans l’esprit dionysiaque et dans l’« âme du
peuple ». Or, c’est précisément ladémarcheinversequ’adopteEvola, puisquepour
lui l’âme, lesensible, lepeuple, lecollectif, etc. renvoient systématiquement aux
dimensions les plus « inférieures » de l’existence. Evola dit encore que « l’idée
organiqueapour contrepartiecelled’uneformeformatriced’enhaut »(72). C’est
précisément cequerécusent lesthéoriciensdel’organicismeclassique : pour eux,
l’organicitéest unedonnéedefait, présenteaudépart ; ellenesaurait résulterd’une
impulsion d’« en haut », celle-ci ne pouvant au contraire que l’affaiblir.
Danslamesureoùil impliqueunedéconnectionradicaledel’organiqueet du
biologique, l’exacteportéed’un« organicismed’enhaut »restedoncàétablir. Peut-
onparlerd’« organicisme »dansunesociétéqui, loind’êtreunefin, est seulement le
moyendefaireapparaîtreuneélitetendant elle-mêmeàla« personneabsolue » ?
Un« Etat vrai »qui seveut affranchi detout conditionnement naturalistepeut-il être
véritablement « organique » ? L’organicité, enfin, peut-elle être le résultat de
l’autorité, delapuissanceet delavolonté ?Sur cepoint, l’expériencehistorique
incitepourlemoinsàlaprudence. Aucoursdel’histoire, eneffet, chaquefoisqu’un
Etat s’est affirmétitulaired’unpouvoirsouverainabsolu, l’organicitédusocial n’apas
augmenté, maisdécru. LecasdelaFranceest àcet égardfrappant. Evolaatrès
justement notéque, dans savolontédes’affranchir del’autoritédupapeet de
l’empereur,lepouvoirroyal s’est enFrancecoupédetoutprincipespirituel supérieur.
Maisil n’enest pasmoinsvrai quec’est aussi laFrancequi constituelemodèlele
plusachevéd’unecréationdelanationparl’Etat. Or, c’est aussi lepaysoùl’autorité
souverainedel’Etat, définiedepuisJeanBodincommeindivisibleet inaliénable, ale
plusappauvri l’organicitésocialeet détruit lesautonomieslocales, tandisqueles
libertéslocalesont toujoursétémieuxpréservéeslàoùc’est aucontrairelepeuple
ou la nation qui ont créé l’Etat. Le contre-modèlede l’Empire, auquel Evola a
consacréquelques-unesdesesmeilleurespages, est tout aussi parlant. L’empire
romain-germaniqueaincontestablement mieux respectél’organicitédelasociété
quel’Etat-nation. Maisil l’amieuxrespectéedanslamesureoùsonpouvoir était,
non pas absolu et inconditionné, mais au contraire relativement faible, où la
souveraineté y était partagée ou répartie, et où le pouvoir se souciait moins
d’imposer sa« forme »auxdifférentescollectivitéslocalesquederespecter leplus
possibleleur autonomie. Leprincipemêmedetouteconstructionimpérialeest en
effet leprincipedesubsidiarité. Onnesaurait oublier queceprincipeimpliquede
laisser àlabaselemaximumdepouvoir possibleet denefaireremonter versle
« haut » que la part d’autorité et de décision qui ne peut s’y exercer.
Entre la monarchie et la Révolution conservatrice
Julius Evola s’est toujours considéré comme un représentant de la « vraie
Droite », qu’il adéfiniecommela« gardiennedel’idéedel’Etat vrai »et commela
famille de pensée qui a su faire siennes les « valeurs politiques hiérarchiques,
qualitatives, aristocratiqueset traditionnelles »(73). Il faut entendrepar làuneDroite
qui, nonseulement rejettelaRévolutionde1789et sessuites, maisqui s’efforcede
maintenir vivantsl’ensembledesprincipes, desattitudesmentaleset desvaleurs
spirituellescaractéristiquesd’uneconceptionmétaphysiquedel’existencedérivéede
la« Traditionprimordiale ». Cettedéfinitionrestetoutefoisambiguë, nonseulement
enraisondelapolysémiedumot « Droite »—il yaeudansl’histoirebeaucoupde
droites différentes, dont chacune se considérait bien entendu comme la seule
authentique—et dufait qu’àbiendes égardsleclivagegauche-droiteapparaît
aujourd’hui deplusenplusrelatif, maisaussi dufaitmêmedel’extrêmeoriginalitéde
la pensée évolienne, qui semble la rendre irréductible à toute famille politique
instituée.
Déterminer et qualifieravecexactitudelapositionpolitiqued’Evolaest enfait plus
difficilequ’il n’y paraît. Beaucoupdechoses, àcommencer par sacritiquedela
démocratieet sesprisesdepositionenfaveur d’uneformed’autoritétranscendante
et absolue, le rapprochent à première vue du courant monarchiste et contre-
révolutionnaire. Il s’est d’ailleurs lui-même déclaré maintes fois partisan de la
monarchie. « Onpeut affirmer avecdesolidesraisons, écrit-il par exemple, qu’une
vraie Droitesans monarchie est privée de son centre de gravité et de fixation
naturel »(74). Ouencore : « Il nousest trèsdifficiledeconcevoirunevraieDroiteen
l’absenced’unemonarchie »(75). Cependant, sonanti-christianisme, sonapologie
des« sociétésd’hommes », safaveurpourlesdoctrinesésotériqueset orientales, sa
condamnationdelapolitiquedesroisdeFrance, voirelamanièredont il fait aller
rigoureusement depair monarchismeet aristocratisme(76), peuvent difficilement
êtreacceptés(et defait ont fréquemment étérejetés) par lesmilieuxroyalisteset
contre-révolutionnaires. Lui-mêmen’aurait d’ailleursjamaispusouscrireàl’opinion
deLouis deBonaldselonlaquelle« l’hommen’existequepour lasociété, et la
sociéténeleformequepour elle »(77). Sacritiquedesroyaumesnationauxet de
l’Etat-nationl’éloigneparailleursradicalementdelafamillenationaliste. Inversement,
sa conception absolutiste de la souveraineté contredit d’emblée les idées
fédéralistes, selonlesquellesc’est du« bas »quedoit provenirlavolontédefédérer
lesautonomieslocales. Sapensée, enfin, apparaît inconciliableavecl’écologisme
intégral, qui prôneun« retouràlaTerre-Mère »et refusedelaisserl’hommeimposer
sans retenue sa « forme » à l’environnement, idées dans lequelles il n’aurait
certainement puvoir quedenouvellesmanifestationsd’unesprit « naturaliste »et
« féminin » (78).
Onl’aparfoisprésentécommelepluséminent représentant italiendecevaste
courant delapenséepolitiqueallemandedesannéesvingt et trenteauquel ona
donnélenomde« Révolutionconservatrice ». Cen’est pasentièrement faux, et il
est certainqu’il s’est lui-mêmesenti proched’aumoinscertainsreprésentantsdece
courant. Onsait durestequependant unegrandepartiedesavie, Evolas’est tourné
versl’Allemagne, nonseulement parcequesadoctrineleportait tout naturellement
versla« LumièreduNord », maisencoreparcequ’il espérait trouver danscepays,
dont il parlait parfaitement lalangue, unereconnaissancequ’avant ladernièreguerre
mondiale, il n’avait guère pu trouver dans le sien. Pourtant, cette étiquette de
« révolutionnaire conservateur » ne lui convient qu’imparfaitement.
Lesmilieux« völkisch », qui furent lespremiersàs’intéresser àlui enraisonde
son « paganisme » (79), s’aperçurent rapidement que l’idée qu’il se faisait des
origines« nordiques »différait totalement delaleur. S’ilspouvaient s’accorder avec
songoût pour l’ésotérisme, cesmilieuxnepouvaient eneffet accepter unevision
purement métaphysiquedel’antiquité« indogermanique », sansracinesimmédiates
danslesanget lesol. Lacritiquefaitepar Evoladelanotiondepeuple(Volk), son
antinatalismeet sonantibiologismeaffirmés, sonélitisme, sespositionsfavorablesà
un« Ordre »composéd’hommescélibataires, sesituaient auxantipodes deleur
propre idéal, communautaire, populiste et assurément plus aristo-démocratique
qu’aristo-monarchique. Danscesmilieux, déjàpeufavorablesàlalatinité(« Losvon
Rom ! »était l’undeleursmotsd’ordrefavoris), leprimat attribuéàl’Etat parEvolaet
son hostilité envers les valeurs féminines (80) ne pouvaient être regardés que
comme des traits « typiquement méditerranéens ». Evola n’eut d’ailleurs pas de
contacts très durables avec les Völkische.
Il eut unpeuplusdesuccèsaveclegroupedesjeunes-conservateurs(Edgar J.
Jung, Othmar Spann, WilhelmStapel, Albrecht ErichGünther, Karl AntonRohan,
etc.), qui étaient par principeplusouvertsaumondelatinet aveclesquelsil eut
l’occasion d’engager une relation plus suivie. Au lendemain de son discours
prononcéen1934àBerlindevant leHerrenklub, queprésidait lebaronHeinrichvon
Gleichen, il put mêmeéprouver lesentiment d’évoluer dansson« milieunaturel ».
Maislàencore, il nefaut pasexagérer l’impact quesesidéespurent avoir. Malgré
quelqueséchosfavorables—letémoignagedeGottfriedBennsurRévoltecontrele
mondemoderne, qui fut traduit enAllemagneen1935, est régulièrement cité—, la
réceptiondelapenséeévolienneenAllemagnen’ajamais euavant 1945qu’un
impact assezlimité. Mêmedanslesrevuesjeunes-conservatrices, oùlenomd’Evola
apparaît parfois, il n’ajamaisconstituéunevéritableréférence. Laraisonmajeureen
estprobablement quelaconceptionévoliennedumondefaisaitappel àdesconcepts
métaphysiques « traditionnels » trop éloignés d’une mentalité néoconservatrice
germanique largement façonnée par l’héritage romantique. La notion d’Empire
(Reich) tout commel’« éthiqueprussienne »occupaient certes unegrandeplace
danslespréoccupationsdesjeunes-conservateurs, qui sesont toujoursintéressésà
ladimensionhistoriquedesproblèmespolitiques, et chezqui l’élément aristocratique
était enoutrebienreprésenté. L’intérêt portéparEvolaàla« Traditionprimordiale »,
àla« spiritualitéolympienne »ou, plusencore, àl’ésotérismeleurétait enrevanche
assezétranger. Chez laplupart d’entreeux, lanotiondeVolkconservait depuis
Herder unechargeéminemment positiveet, suivant latraditiongermanique, il leur
paraissait extravagant de placer, comme c’était le cas dans l’anthropologie
« traditionnelle »àlaquelleadhérait Evola, l’« esprit », qu’ilssuspectaient volontiers
devéhiculer uneconceptionabstraiteet rationaliséedel’existence, au-dessusde
l’« âme », qu’ils regardaient au contraire comme la dépositaire privilégiée de
l’« authenticité » du peuple (81).
Lacritiquequefait Evoladelatechniquepourrait amener àlerapprocher de
Heidegger, maissamétaphysiqueest inconciliableavecl’ontologieheideggerienne,
qu’il dénonced’ailleursavecuntotal manquedenuancesdansMasqueset visages
duspiritualismecontemporain. Sacritiquedel’obsessionéconomisteet l’importance
centrale qu’il attribue à l’Etat (dont il fait lui aussi le grand katechon, le grand
« ralentisseur » du déclin) pourraient de même le placer au voisinage de Carl
Schmitt, maissonrefusdereconnaîtrel’autonomiedupolitique, enmêmetempsque
sonindifférencepourlesquestionsconstitutionnelles, soninsistancesurlecaractère
« éthique » de la souverainetéet la façondont il soutient que la « signification
originelledel’Etat »renvoieà une« formationsurnaturelle »(82), l’enéloignent
complètement. Il est par ailleurstout aussi loindu« premier Jünger »—malgré
l’intérêt justifiéqu’il aportéauTravailleur(83) —, enraisondelafaveur quecelui-ci
accordait àlatechnique, quedu« second Jünger », enraisondesespréoccupations
« naturalistes ». Quant àSpengler, il alui-mêmeeul’occasion, danssapréfaceàla
premièreéditionitalienneduDéclindel’Occident, dont il fut letraducteur, d’expliquer
enquoi saproprethéoriedes cycles différait del’approchespengleriennedela
« morphologie » des cultures (84). Bref, il n’y a aucun auteur de la Révolution
conservatrice auquel on pourrait véritablement l’assimiler ni même le comparer.
Fascisme et national-socialisme
Ses relations avec le fascisme et le national-socialisme sont encore plus
complexes. Cen’est pasici lelieud’examiner dansledétail cequefut laviede
JuliusEvoladurant leVentenniomussolinien, ni l’évolutiondesesidéesdurant cette
période. Il s’en est lui-même longuement expliqué dans les deux éditions
successivesdesonlivresurlefascisme(85), ainsi quedanssonautobiographie. On
rappelleraseulement qu’il fut jusqu’en1928aumoinsl’ami duministreGiuseppe
Bottai, et plusdurablement celui deGiovanni Preziosi, qui lui ouvrit lescolonnesde
sarevueLaVitaitaliana, et deRobertoFarinacci, qui lui permit àpartir de1934de
disposer deux foispar mois d’unepagespéciale(« Dioramafilosofico ») dans le
quotidienIl Regimefascista. Il rencontrapar ailleurs Mussolini deuxoutroisfois
pendant la guerre (86).
Evolalançaenfévrier 1930unerevueintituléeLaTorre, qui, critiquéedurement
parcertainsmilieuxofficiels, dutcesserdeparaîtredèsle15juindelamêmeannée,
aprèsavoir publiéseulement dixnuméros(87). Danslecinquièmenuméro, datédu
1er avril, il écrivait : « Nous ne sommes ni “fascistes” ni “antifascistes”.
L’“antifascisme”est nul. Maispour nous[...] ennemisirréductiblesdetouteidéologie
plébéienne, detouteidéologie“nationaliste”, detouteintrigueet esprit de“parti” [...]
lefascismeest troppeu. Nousvoudrionsunfascismeplusradical, plusintrépide, un
fascisme vraiment absolu, fait de force pure, inaccessible à tout compromis ».
Ceserait ungravecontresensd’interpréter ceslignes, qui ont étésouvent citées
(88), commelapreuvequ’Evolaaurait souhaitéunfascismeplusextrémiste, « plus
fasciste »encorequ’il nelefut. Le« fascismevraiment absolu »dont parlait Evola
était enfait unfascismequi aurait fait sienslesprincipesabsolusdelaTradition,
c’est-à-direun fascismequi aurait ététout àla fois « plus radical »et... moins
fasciste. Ce « superfascisme » était en réalité un suprafascisme. C’est ce qui
apparaît clairement dans ladéclarationquedevait faireEvolaàsonprocès, en
1951 : « J’ai défendu, et jedéfends, des“idéesfascistes”, nonentant qu’ellesétaient
“fascistes”, mais dans lamesureoùellesreprenaient unetraditionsupérieureet
antérieure au fascisme, où elles appartenaient à l’héritage de la conception
hiérarchique, aristocratique et traditionnelle de l’Etat —conception ayant un
caractèreuniversel et qui s’est maintenueenEuropejusqu’àlaRévolutionfrançaise.
Enréalité, lespositionsquej’ai défendueset quejedéfendsentant qu’homme[...]
nedoivent pasêtredites“fascistes”, maistraditionnelleset contre-révolutionnaires »
(89). Ce à quoi adhère Evola, c’est donc bien à une conception du monde
« supérieureet antérieure »aufascisme, uneconception« d’AncienRégime », ayant
un« caractèreuniversel »et àlaquelleselonlui lefascismen’aquepartiellement
adhéré. Cequi revient trèsprécisément àdirequ’il n’appréciait danslefascismeque
cequi n’était passpécifiquement fasciste—ou, si l’onpréfère, qu’il rejetait cequ’il y
avait de plus spécifiquement fasciste dans le fascisme.
Quandonlit lelivrequ’Evolaaconsacréaufascismeet aunational-socialisme, on
constated’ailleursquelesreprochesqu’il adresseàcesdeuxrégimespolitiquesne
sont pasminces. Danslefascisme, il critiquelarhétoriquenationaliste, l’idéedeparti
unique, la tendance « bonapartiste » et plébiscitaire du régime, ses aspects
moralisateurs et petits-bourgeois, l’échec de sa politique culturelle, sans oublier
l’accent missurl’« humanismedutravail »(Giovanni Gentile), qu’il interprètecomme
une sorte d’appel à « une involution de la politique dans l’économie ». On ne
s’étonnerapas, enrevanche, qu’il metteaucrédit dufascismed’avoir « relevéen
Italiel’idéed’Etat », et d’avoir affirméavecforcelaprimautédecedernier sur le
peuple et la nation.
Vis-à-vis du national-socialisme, il est plus sévère encore. Synthétisant un
ensembledecritiquesqu’il eut l’occasiondedévelopper danssesarticlesdèsle
début desannéestrente(90), il attribueaurégimehitlérienlemérited’avoirperçula
nécessitéd’une« luttepour lavisiondumonde », maisc’est pour rejeter aussitôt
presque toutes les composantes de cette vision. C’est ainsi qu’il dénonce le
pangermanisme, le nationalisme ethnique et l’irrédentisme, l’idée même d’un
socialisme« national », leracismebiologique—qu’il définit commeassociant « une
variantedel’idéologienationalisteàfondpangermanisteet desidéesduscientisme
biologique »(91) —, ledarwinismesocial, la« mégalomanieeffective »deHitler,
avecses« lubiesmillénaristes »et son« esprit complètement plébéien », le« mythe
du Volk » et l’importance donnée à la « communauté populaire »
(Volksgemeinschaft), l’idéalisation de la fonction maternelle chez la femme,
l’exaltationdela « noblessedutravail »et l’égalitarismeinhérent auService du
travail (92), laliquidationdel’Etat prussienet delatraditiondesJunkers, lesaspects
« prolétariens »d’unrégimedépourvudetoute« légitimitésupérieure », et mêmeun
antisémitisme qui, dit-il, prit chez Hitler la forme d’un « fanatisme obsessionnel ».
On le voit, la liste est longue. Et pourtant, il est incontestable qu’Evola a
également considéré que le fascisme et le national-socialisme se situaient
globalement « duboncôté ». Si d’unepart, il neleurapasménagésescritiques, de
l’autre, il aexplicitement présentécescritiquescommetémoignant, nonpasd’une
oppositiondeprincipe(« l’antifascismeest nul »), maisplutôt d’unevolontéoud’un
désirde« rectifier »cequi lui apparaissait commeautant d’erreursoud’insuffisances
graves. Pour direleschosesautrement, alorsqu’Evolan’ajamaisétéfascisteni
national-socialisteausensstrict duterme, il n’enapasmoinseulesentiment que,
tout comptefait, cesrégimesvalaient quandmêmemieuxqueleursadversaires, et
que leurs nombreux défauts pouvaient être « corrigés ». Ce sentiment peut
surprendre, car lorsqu’onvoit tout cequ’Evolareprocheaufascismeet aunational-
socialisme, onse demande parfois ce qui reste encore qui soit susceptible de
susciter sa sympathie. C’est donc sur ce sentiment qu’il faut s’interroger.
Il nefait pasdedoutequecedont Evolacrédited’abordlefascismeet lenational-
socialisme tient dans leur « anti-illuminisme » et leur antidémocratisme affiché.
Fascismeet national-socialisme représentent fondamentalement àses yeux une
réactioncontrelesidéesde1789, et mêmesi laformedonnéeàcetteréactionaété
despluscontestables—puisqu’il constatechezeuxlaprésencepersistantedetraits
typiquement « démocratiques »—, il restequepour lui unetelleréactionétait au
départ salutaire. Evolaentireladoubleconclusiondelaparentédefonddufascisme
et dunational-socialisme, et delapossibilitédeles« rectifier »dansunsensplus
« traditionnel »enles« ramenant àleursoriginespropres ». Lefait quecesdeux
régimes aient eu à combattre les mêmes adversaires que lui, des démocrates
libéraux aux socialistes et aux communistes, était évidemment de nature à le
confirmer dans cette opinion.
Cequel’historiographiecontemporaineapermisd’établiràproposdufascismeet
dunational-socialismeconduit cependant àsedemandersi, danscetteappréciation,
JuliusEvolanes’est pastragiquement trompé. Il n’est eneffet nullement évident que
lesrégimesfascisteet national-socialisteaient véritablement appartenuau« même
monde », et moins évident encore qu’ils se soient jamais inscrit dans l’univers
spirituel d’Evola, c’est-à-dire dans cette « tradition supérieure et antérieure », à
« caractère universel », qui aurait véhiculé depuis toujours la « conception
hiérarchique, aristocratique et traditionnelle de l’Etat » qui s’est « maintenue en
Europe jusqu’à la Révolution française ». Le caractère totalitaire du national-
socialismenesaurait aujourd’hui êtresérieusement contesté, alorsquelefascisme
est plusgénéralement classéparmi lesrégimesautoritaires. DeRenzoDeFeliceà
Ernst Nolte, lesdifférencesd’inspirationidéologiquedesdeuxrégimesont enoutre
étémaintesfoissoulignées. Révélateur est àcet égardlefait que, pour Evola, le
mériteprincipal dufascismefut d’avoir affirméla« prééminencedel’Etat sur le
peupleet lanation », alorsquec’est précisément cequelesthéoriciensnationaux-
socialisteslui reprochaient leplus. Laparentédurégimenational-socialisteavecle
régimebolchevik, qui est sansdoutelaformepolitiquequi répugnait leplusàJulius
Evola, est par ailleurs aujourd’hui de mieux en mieux reconnue, comme en
témoignent, pour neciter qu’eux, lestravaux deHannahArendt, RaymondAron,
FrançoisFuret ouStéphaneCourtois. Enfin, lelienprofonddesdeuxrégimesavec
cette modernité qu’Evola rejetait de toutes ses forces, a lui aussi été mis en lumière à
maintes reprises. Derrière une rhétorique volontiers archaïsante, fascisme et
national-socialisme ont constitué des phénomènes résolument modernes qui, comme
tels, donnaient uneimportancecentraleaudéveloppement scientifique, techniqueet
industriel, enmêmetempsqu’ilsfaisaient unelargeplaceàlamobilisationpolitique
des masses. Mussolini l’avait d’ailleurs déclaré avec netteté : « Les négations
fascistesdusocialisme, deladémocratie, dulibéralisme, nedoivent [...] pasfaire
croirequelefascismeentendramener lemondeàcequ’il était avant 1789, datequi
est considéréecommel’annéed’inaugurationdusiècledémo-libéral. Onnerevient
pas en arrière. La doctrine fasciste n’a pas choisi de Maistre pour prophète » (93).
Caractéristiqued’unetelleéquivoqueest l’attentionqu’àl’intérieur duIIIe Reich
EvolaaportéeàlaSS, trèsprobablement parcequecelle-ci seprésentait commeun
« Ordre »et quelanotiond’Ordrejouait, commeonl’avu, unrôlecentral danssa
penséepolitique. Evolaeut d’ailleursl’occasion, en1938, d’effectuerpourlecompte
delarevuedePreziosi unreportagesur lescélèbres« Ordensburgen »nationaux-
socialistes (94). Maisderrièreunmêmemot peuvent secacher des réalités fort
différentes. Himmler pouvait bienêtrepersonnellement fascinépar lesChevaliers
teutoniqueset lesouvenir des« anciensGermains », saconceptiondumonden’en
était pasmoinsauxantipodesdecelled’Evola. LaSSn’était elle-mêmenullement
conçue comme une « société d’hommes », comme une « élite définie par une
solidaritéexclusivement virile »et tendant àla« personneabsolue » : chacundeses
membresétait aucontrairetenudefonder unfoyer s’inscrivant dansune« lignée
héréditaire ». Plusencorequeleparti nazi lui-même, laSSfaisait du« matérialisme
biologique » le centre même de sa vision du monde (95).
Evolan’adoncprobablement paspristoutelamesuredelavolontédufascismeet
dunational-socialismedelutter contrelesidéologiesqu’il combattait lui-même, non
seulement pardesmoyensmodernes, maiségalement aunomd’uneautreformede
modernité. D’oùtoutel’ambiguïtédesaposition. Il appréciait danslefascismecequi
n’était passpécifiquement fasciste, mais« traditionnel », tout encroyant possiblede
« rectifier »lefascismeenl’amenant àabandonner cequi lui appartenait enpropre
—sous-estimant ainsi l’importancedecequi, danslefascisme, faisait qu’il était le
fascisme et non pas autre chose. Philippe Baillet a pu parler à ce propos de
« surestimation des potentialités “réactionnaires” » du fascisme et du national-
socialisme, « àcausedelaquelle[Evola] passaàcôtédecequi fondait enpropre
cesdeuxrégimeset leurconférait leurspécificité »(96). Laquestionquel’onpeut se
poserest desavoirsi lefascisme« rectifié »commelesouhaitait Evolaaurait encore
eu quelque chose à voir avec le fascisme.
L’influence politique d’Evola
L’influenceproprement politiquedeJuliusEvolan’avéritablement commencéà
s’exercerqu’aprèslaDeuxièmeGuerremondiale, singulièrement aprèslapublication
d’Orientationset des Hommesaumilieudes ruines. C’est d’ailleurségalement à
partir desannéescinquantequesesadversairesont commencéàvoir enlui, de
manière excessivement sommaire, un « doctrinaire fasciste », alors qu’il n’avait
guèreétéreconnucommetel souslefascismeréellement existant. Cetteinfluence
politiques’est évidemment exercéed’abordenItalie, avant desemanifester en
Franceàpartir dudébut desannéessoixante-dix, puisenEspagne, enAmérique
latine, en Allemagne et dans les pays de l’Est.
Il nefait pasdedoutequelapenséepolitiqueévolienneasurtout séduit des
courantsapparentésdirectement ouindirectement àladroiteradicale. Desgroupes
se réclamant d’une « droite révolutionnaire » ont trouvé dans son œuvre une
cohérencedoctrinaleincontestable, enmêmetempsquedesmotsd’ordred’une
radicalité critique propres à conforter leurs positions. D’autres groupes,
sympathisantsd’un« fascismeextrême », voireparfoisdunational-socialisme, ont
également reprisàleur comptecertainesdesesidées, enpassant soussilenceles
critiques extrêmement dures qu’il avait adressées au régime hitlérien. Mais
l’influencepolitiqued’Evolanes’est paslimitéeàcesmilieux. Des royalistesont
également pu tirer profit de ses multiples plaidoyers en faveur du système
monarchique. Des individualistes radicaux se sont appuyés sur sa pensée pour
justifier leur mépris narcissique de la « plèbe » et leur détestation du monde
moderne. Dejeunesmilitantsdespartisdedroiteclassiquesont trouvédansses
livres de quoi nourrir une intransigeance à laquelle leurs propres dirigeants ne
répondaient pas. Et mêmecertainscatholiquestraditionalistesont pus’inspirer de
sonapologiedela« Tradition »,ainsi qu’enatémoignéFaustoGianfranceschi, selon
qui, malgrélescritiquessouvent méprisantesadresséespar Evolaauchristianisme,
« sesouvrages, paradoxalement, réussissaient, chezceuxd’entrenousqui étaient
[catholiques], àrenforcerlaconvictionquelaphilosophiepérennedel’Egliseétait la
seuleformedepenséevivanteouinstitutionnaliséecapablededicter desrègles
d’actionet dejugement àceuxqui neselaissaient pascapter par lesidéologies
matérialistes » (97). Cette diversité est elle aussi significative.
Si Evola a séduit la droite radicale, c’est évidemment d’abord par sa propre
radicalitéidéologique, par sacritiquesanscompromisdumondeactuel, commepar
sacapacitéd’opposer àlamodernitétriomphanteunesériedenégationsabruptes,
contrepartiechezlui d’unensembled’« affirmationssouveraines ». Maislafaveur
dont il atoujoursjoui danscesmilieuxn’est pasnonplusexempted’ambiguïté. La
droite radicale, par exemple, s’est toujours plus volontiers déclarée
« révolutionnaire »que« réactionnaire ». Cen’est paslecasd’Evola. Il lui est certes
arrivéd’écrire, enréférenceimpliciteàlaRévolutionconservatriceallemande, que
« parrapport àtout cequi formeaujourd’hui lacivilisationet lasociétémodernes, on
peut direeffectivement querienn’est aussi révolutionnairequelaTradition »(98). En
règlegénérale, cependant, il s’est plutôt montréréticent àutiliser ceterme, mettant
fréquemment engardecontrel’« âmesecrète »dumot « révolution », tandisqu’il a
constamment fait reproche à la Droite de ne pas oser s’affirmer fièrement
« réactionnaire »—si bienquel’onpourrait direquesapensée, fondéesur l’« idée
hiérarchique intégrale », exprime avant tout une forme particulière de radicalité
réactionnaire.
Demême, ladroiteradicaleafréquemment étéplusadmiratricedufascismedela
Républiquesocialequedufascisme« classique »d’avant 1943. Or, làencore, Evola
professait l’opinioninverse. Il avait certesdel’admirationpour l’« aspect combattant
et légionnaire »(99) delaRépubliquesociale, maisletournant « républicain »du
fascismedeSaló, considérépar certainscommeun« retour auxsources »initiales
dumouvement, représentait àsesyeuxune« régressioninvolutive » : « Denotre
point devue, écrit-il, il n’yaàcet égardrienàtirer dufascismedelaRépublique
sociale » (100).
La droite radicale, enfin, a souvent manifesté une sympathie plus ou moins
expliciteenversn’importequelleformederadicalité, mêmedegaucheoud’extrême
gauche. Cettedroite, d’unefaçongénérale, tendàs’identifierau« peuple », àprôner
unsocialisme« national », àseposer en« gauchedeladroite », et sedéclare
volontiersplusproched’unrévolutionnairedegauche, fût-il bolchevik(ou« national-
bolchevik »)qued’unbourgeois. Evola, dont il faut aupassageremarquerqu’il atrès
rarement désavouéceuxqui seréclamaient delui, n’ajamaisadoptéaucunedeces
attitudesni soutenuaucunedecesopinions. Saméfiancevis-à-visdu« peuple »,
sonrefus explicitedecequ’il appelait l’« idéal social », sonhostilitéextrêmeau
bolchevismel’enempêchaient demanièreabsolue. Il affichait certesunpoint devue
nettement « antibourgeois », mais c’était pour souligner aussitôt que le
bourgeoisismepeut être contesté« par lehaut »aussi bienque« par lebas »,
ajoutant quel’antibourgeoisismedegauche, ouvrier ousocialiste, doit êtrerejeté
parcequ’il mène« encoreplusbas ». PourEvola,tout dépendaitenfindecomptede
ceaunomdequoi ondéclarait vouloircombattrelabourgeoisie. L’antibourgeoisisme
était pour lui acceptable, et même nécessaire, au nomd’une « conception
supérieure, héroïqueet aristocratiquedel’existence »(101), maisil nel’était pasau
nomde n’importe quel idéal. De même, bien qu’il lui soit arrivé de créditer
l’américanisme ou le libéralisme d’un pouvoir dissolvant supérieur à celui du
communisme(102), il n’est pasdouteuxquelebolchevismereprésentait pour lui
quelquechosedebienpirequelelibéralismebourgeois, précisément parcequ’il
correspondait danssonsystèmeàuneaggravation, àunpoint d’aboutissement (la
« nuit »par rapport au« crépuscule »). C’est encoreunpoint sur lequel sapensée
s’écartedecelledeladroiteradicaleou« révolutionnaire », pourlaquellelerègnedu
libéralismebourgeoisest bienpireencore, plusdestructeur et plusdécomposant,
que le communisme ne l’a jamais été.
Retour à l’« apoliteia »
Les dernières lignes des Hommes au milieu des ruines contiennent une
interrogationanalogueàcellequi figurait déjàenconclusiond’Orientations : « Reste
àvoir combienil rested’hommesdemeurant encoredebout, parmi tant deruines ».
Implicitement, cetteinterrogationrevient àposer laquestiondelapossibilitémême
d’uneactionpolitiquequi s’inspireraitdesprincipes « traditionnels ».Acettequestion,
Evola n’a pas tardé à répondre lui-même par la négative. Dès 1961, dans
Chevaucher letigre, il soulignait « l’impossibilitéd’agir demanièrepositivedansle
sensd’unretour réel et général ausystèmenormal et traditionnel »(103). Dansson
autobiographie, parueen1963, il affirmait sa« convictionqueriennepeut êtrefait
pour provoquer unemodificationimportantedanscettesituation, pour agir sur des
processusqui ont désormais, aprèslesderniersécroulements, uncoursirréparable
[...] Il n’existeplusrien, dansledomainepolitiqueet social, qui méritevraiment un
total dévouement et un engagement profond » (104). Un an plus tard, dans la
premièreéditionduFascismevudedroite, il déclarait : « Il faut direqu’aujourd’hui il
n’yapasenItalieuneDroitedignedecenom »(105). Enfin, peudetempsavant sa
mort, dansladeuxièmeéditionduCheminduCinabre, il écrivait : « Endehorsde
l’adhésion de représentants des jeunes générations, attirés surtout par les
fondementsquelesdoctrinestraditionnellesoffrent àuneorientationdeDroite, les
personnes qualifiées arrivées àmaturitéqui, dans ledomainedes études et en
partant despositionsquej’ai défenduesoufait connaître, sont alléesplusloinpar
desdéveloppementspersonnelssérieux, méthodiqueset médités[...] cespersonnes
sont pratiquement inexistantes » (106).
C’est précisément parcequ’il s’était convaincu que rienne pouvait plus être
accompli dansledomainedesfinsextérieures, qu’Evolapublieen1961Chevaucher
letigre, ouvragedans lequel il s’efforced’indiquer ànouveaudes « orientations
existentielles », mais cettefois dans uneperspective strictement « individuelle ».
Sansbienentendumodifier enquoi quecesoit sesprincipes, JuliusEvola, dansce
livre, abandonne radicalement toute perspective politique et rabat ce qu’il est
possibledefairesur lefor intérieur. « Nousavonsfait allusion, écrit-il [...] aupetit
nombredeceuxqui, aujourd’hui, par tempérament et par vocation, croient encore,
malgrétout, àlapossibilitéd’uneactionpolitiquerectificatrice. C’est pour guider
l’orientationidéologiquedeceux-làquenousavonsécrit, il yaquelquesannées, Les
hommesaumilieudes ruines. Mais, enraisondes expériencesquenous avons
faites depuis, nous ne pouvons pas ne pas reconnaître ouvertement que les
conditionsnécessairespouraboutiràunrésultat quelconque, appréciableetconcret,
dansuneluttedecegenre, font actuellement défaut [...] Laseulenormevalableque
cet homme[celui qui restefidèleàlaTradition] puissetirer d’unbilanobjectif dela
situation, c’est l’absenced’intérêt et ledétachement àl’égarddetout cequi est
aujourd’hui “politique”. Son principe sera donc celui que l’Antiquité a appelé
l’apoliteia » (107).
Rien ne pouvant plus être accompli dans le domaine politique, mieux vaut
désormais prendre congé et se réfugier dans l’apoliteia, c’est-à-dire dans le
détachement. Evolainvitedoncles« hommesdifférenciés », ceuxqui sesentent
« absolument horsdelasociété », à« abandonner tout but positif extérieur, rendu
irréalisable par une époque de dissolution comme la nôtre » (108), pour se
concentrer sur l’« agir sansagir », sur laconstructionet leperfectionnement desoi,
sur la conquête d’une position spirituelle inexpugnable, d’une patrie intérieure
« qu’aucunennemi nepourrajamaisoccuper ni détruire »(109). Cettepositionn’est
passansévoquer celledel’Anarqued’Ernst Jünger, sanstoutefoisseconfondre
avecelle. Ellerendobsolètetouteespérancepolitiqueet découragetoutevelléité
d’action dans la vie publique : « Rien ne peut être fait » (110).
Il semblebienqu’Evolaait alorsrefermécommeunelongueparenthèse, pour en
reveniràcertainesattitudesdesajeunesse« rectifiées »par sonitinéraireintérieur.
C’est cequ’il diralui-mêmelorsqu’évoquant Chevaucher letigre, il écriradansson
autobiographie :« Uncyclesefermeaveccelivre,encesensquejesuisenquelque
sorterevenuauxpositionsdedépart, verslesquellesm’avait poussédansmaprime
jeunesse une impulsion profonde, bien que parfois inconsciente, qui devait me mener
àunenégationradicaledesvaleurset dumondeexistants »(111). Lerepli surlefor
intérieurramèneeneffet àl’époquedel’Individuabsolu, decet individusolitairequi,
ne voulant dépendre de rien d’extérieur à lui-même, et regardant donc
nécessairement l’Autrecommeprivation, altérationoudéficiencecontaminante, en
était venu à la « négation radicale du monde existant ».
Quellessont lesraisonsdecetteimpossibilitéd’unepolitique« traditionnelle » ?
Cellesdont fait état Evolasont bienentendustrictement conjoncturelles : cesont les
circonstancesdumoment qui interdisent lamiseenœuvreconcrètedetout principe
politique« vrai ». Cescirconstancesétant apparemment liéesàl’état dedégradation
oudedissolutiondumondeextérieur, il est légitimed’enconclurequ’il yaunrapport
direct entrelefait qu’onnepuisseplusrienfairesur leplanpolitiqueet lefait que,
danslaconception« traditionnelle »del’histoirequi est celled’Evola, lemoment
actuel correspond à une « fin de cycle », phase crépusculaire, terminale,
fréquemment assimiléeaukali-yugadesIndiensouàl’« âgeduloup »delatradition
nordique.
Maisil est clairquecetteidéede« findecycle »apar elle-mêmequelquechose
deparalysant oud’incapacitant. Si l’onvit dansunefindecycleet si riennepeut
empêchercecycled’alleràsonterme, oùpeut bienrésiderla« libertéfondamentale
demouvement », sinondanslefor intérieur ?C’est cequ’avait biencomprisAlain
Daniélou, qui écrivait : « Dansunmondequi court àsaperte, selonlathéoriedes
cycles,il n’yadesalut qu’individuel »(112). Dansunetelleperspective, il yaeneffet
quelque paradoxe à prôner une action politique quelle qu’elle soit, puisque
l’accomplissement du cycle actuel et le surgissement d’un nouveau cycle sont
censés résulter, non de l’action des hommes, mais des lois absolues de la
métaphysique. L’actionpolitiquesupposel’espoir deparvenir àunbut. Or, quel but
peut-ons’assigner dansunmondequi est vouéàsafin ?L’actionpolitiqueimplique
aussi, pardéfinition, laréversibilitédessituationsjugéesindésirables. Or,dupointde
vuedelathéoriedescycles, lacrisedumondemodernesecaractérisepar son
irréversibilité. Quand Evola déclare que la bataille est déjà « matériellement
perdue », oncomprendsanspeineque, perduematériellement, ellepeut nepas
l’être spirituellement. Mais quel sens politique donner à ce propos ?
Evolaécrit pourtant que« cesont les hommes, tant qu’ils sont vraiment des
hommes, qui font et défont l’histoire »(113). Maisil dit aussi quel’histoireest une
« entitémystérieuse »qui « n’existepas », qu’ellen’est qu’un« mythe »quel’ondoit
« combattre »: « penser entermesd’histoireest absurde ». Enfin, il dénoncetout
historicisme, enallant jusqu’àécrirequelorsqu’onarejetél’historicisme, « lepassé
cessed’êtrequelquechosequi déterminemécaniquement leprésent »(114). Jean-
Paul Lippi en conclut que « la critique fondamentale qu’Evola adresse à
l’historicisme, c’est quecelui-ci rendimpossibleàqui l’adoptetouteprisedeposition
volontariste et par conséquent véritablement libre » (115). La question se pose
toutefoisdesavoirsi cepoint devueest pluscompatibleaveclathéoriedescycles.
Levolontarismepolitiquen’est-il pasrendutout aussi « impossible »parl’affirmation
d’un déclin obligé que par celle d’un progrès inéluctable ?
Enréalité, cequ’Evolarejetteleplusfoncièrement, cen’est pastant l’historicisme
proprement dit que l’optimisme inhérent aux formes modernes d’historicisme, à
commencer par l’idéologieduprogrès. Letableaugénéral qu’il dressedansRévolte
contrelemondemoderne, par exemple, donneeneffet àl’histoireunsensbien
précis—àlafoiscommedirectionet commesignification. Evolacherchelui aussi,
au-delàdusimpleenchaînement desévénements, àidentifier leslignesdefonddu
développement historique—et lesmomentsoulesétapesdel’histoirequ’il jugeles
plussignificatifsnediffèrent guèredeceuxquel’idéologieduprogrèsaelle-même
retenus.Il secontentedelesdoterd’uncoefficientdevaleurrigoureusement opposé.
Tout en dépeignant les sociétés « traditionnelles » comme des sociétés
anhistoriques, ou tout au moins indifférentes à l’histoire, Evola ne rejette donc
nullement lanotionde« sensdel’histoire », qui est d’ailleursinhérenteàlathéorie
descycles. Interprétantl’histoire, noncommemouvement progressifperpétuellement
ascendant, mais comme mouvement constamment descendant, comme déclin
toujoursaccentué, il affirmeseulement quece« sens »est purement négatif : il ya
bien« progrès »,maisprogrèsdansledéclin(116) ! Révélateuràcetégardest lefait
qu’il dénonce dans le marxisme une forme évidente d’historicisme, tout en
reconnaissant àMarxlemérited’avoir tentéde« définir unedirectiongénéralede
marchedel’histoireenfonctiondephasesbienprécises »(117). C’est pourquoi il
propose« unschémahistoriographiquequi, enunecertainemesure, correspondau
schémamarxiste, et qui, commecedernier, considèrelesprocessusgénérauxet
essentielsau-delàdesfacteurscontingents, locauxet nationaux, maisqui, toutefois,
indiquecommerégression, écroulement etdestructioncequi, aucontraire, est exalté
parlemarxismecommeunprogrèset commeuneconquêtedel’homme »(118). En
d’autres termes, Evola critique fondamentalement l’historicisme au nomd’un
historicismeensenscontraire, l’idéologiedeladécadenceconstituant commele
miroir inversé, lecalquenégatif del’idéologieduprogrès : cequi est impensable,
danslesdeuxcas, c’est quel’histoirepuisseàtout moment rouler dansn’importe
quel sens. Il enrésulteuneévidentetensionentrecettephilosophiedel’histoire, où
l’inéluctablerésulted’unesortedefatalitémétaphysique, inhérenteaumouvement
mêmedel’histoire, et l’importancequedonnepar ailleursEvolaàl’idéedevolonté,
de puissance absolue et de liberté inconditionnée.
Mais l’impossibilité d’une politique « traditionnelle » ne résulte peut-être pas
seulement defacteursliésàlaconjonctureet àlathéoriedescycles. Lapolitique
queproposeEvolaest unepolitiquequi s’ordonneàdes idéeset des principes
absolus. C’est en d’autres termes une politique idéale. Or, si l’on pose que la
politiqueest avant tout l’art dupossible, et quelepossibleest d’abordaffairede
contexteet desituation, unepolitiqueidéalerisquefort d’apparaîtrecommeune
contradictiondanslestermes. Sesituant d’embléeauniveaudesprincipes, Evola
placesonexigencetrèshaut, cequi est ensoi louable. Maisleproblèmeavecles
idéespuresest quelameilleuremanièrequ’ellesont derester puresest dene
jamaisseconcrétiserdanslaréalité : leshorizonslesplusélevéssont aussi lesplus
inatteignables. Decepoint devue, il yaunecontradictioncertaineentrelapolitique,
qui s’inscrit toujoursdanslerelatif et neconstituejamaisqu’unemodalitédel’action
historique, et unetraditionqui seveut d’embléemétahistorique, c’est-à-direabsolue.
Evola, pourrait-ondire, aexercéuneincontestableinfluencepolitiquealorsmême
que les idées qu’il proposait rendaient l’action politique plus problématique. La
« politiqueévolienne »—distinctedelacritiqueévoliennedelapolitique—semble
ainsi conduire à ne plus faire de politique du tout.
*
Tant par soncontenuquepar l’influencequecelivreaexercée, Leshommesau
milieu des ruines constitue sans conteste un ouvrage important du point de vue d’une
historiographiedesidéesdeDroite. Prèsd’undemi-siècleaprèssapublication, la
validitéet l’actualitédes idées qu’onytrouveexprimées dépendent évidemment
dansunelargemesuredudegréd’adhésiondulecteur. Pour notrepart, cesont
surtout certainesdescritiquesformuléespar Evolaqui nousparaissent denatureà
inspirer uneréflexionpar ailleursattentiveàl’évolutiondumondeactuel. Mêmesi
l’on n’en partage pas les prémisses, la critique évolienne de l’Etat-nation, par
exemple, conserveunefortepertinenceàuneépoqueoùcetteforme politique,
emblématique de la modernité, apparaît chaque jour un peu plus frappée
d’impuissanceet d’obsolescence.Il envademêmedesacritiquedela« superstition
modernedutravail », qui rejoint certainesobservationsdeHannahArendt, enmême
tempsquecetteprofonderemarquedeFriedrichNietzsche : « Chaquejourletravail
accaparedavantagelabonneconscienceàsonprofit : legoût delajoies’appelle
déjà“besoinderepos” ; il commenceàrougir delui-même[...] Ehbien, autrefois,
c’était le contraire : c’était le travail qui donnait des remords » (119).
Evolaaégalement eulegrandmérite, àuneépoqueoùlachosen’était passi
courante, dedénoncer avec forcetouteconceptiongénéraledelavieoudela
sociétéqui sefondesur leseul plandel’économie, oului attribueendernière
instanceunrôledécisif. Mêmesi l’onnesait pastoujourstrèsbiensi Evolaseborne
àramener l’économieàuneplacesubordonnéeous’il lui donneuneimportance
minime, cequi n’est pastout àfait lamêmechose, onnepeut qu’êtred’accordavec
lui lorsqu’il affirmeque« cen’est paslavaleur d’unsystèmeéconomiqueoud’un
autrequ’il faut mettreenquestion, maiscelledel’économieengénéral »(120), ou
lorsqu’il stigmatiseavecbonheur cetteobsessionéconomistequi « aprisl’homme
corpset âmeet l’afinalement condamnéàunecoursesansrépit, àuneexpansion
illimitéedel’agir et duproduire »(121). Evolaledit trèsjustement, « lavéritable
antithèsenesesitue[...] pasentrecapitalismeet marxisme, maisentreunsystème
oùl’économieest souveraine, quellequesoit saforme, et unsystèmeoùellese
trouve subordonnée à des facteurs extra-économiques, à l’intérieur d’un ordre
beaucoupplusvasteet pluscomplet, denatureàconféreràlaviehumaineunsens
profond et à permettre le développement de ses possibilités les plus hautes » (122).
Maisendernièreanalyse, et commetoujourschezEvola, c’est sansdoutedansle
domainedel’éthiquequel’ontrouvechezlui lesconsidérationslespluspropresà
inspirerlaréflexiondetouslesjours. Ainsi lorsqu’il dit que« lamesuredecequel’on
peut exiger desautresest donnéepar cequel’onsait exiger desoi-même »(123),
lorsqu’il rappelleque« lapuissancesefondesurlasupériorité, et nonlasupériorité
surlapuissance »(124), ouencorelorsqu’il décrit l’antagonismeentrelesystèmede
l’honneuret ladignitéindistinctementaccordéeàtout unchacun.Endetellespages,
les hommes autant que les femmes peuvent prendre des leçons.
A. B.
1. Onsait qu’Evola, suiteàunbombardement subi àVienneen1945, nerevint àRome, après
avoir étésoignéenAutriche, qu’aubout detroisannées. Il n’yrestad’ailleursquepour unebrève
période, puisqu’il passaencoredeuxanset demi dansdifférentescliniquesdeBologne. Evolanese
réinstalleradefaçondurabledanslacapitaleitaliennequ’auprintemps1951. Cependant, dèslemois
d’avril 1951, il est arrêté et emprisonné sous l’accusation d’être l’inspirateur de deux groupes
néofascistesclandestins, lesFAR(Fasci di Azionerivoluzionaria) et laLégionnoire. Il fut acquittéà
l’issue de son procès, le 29 décembre 1951, après avoir été détenu pendant six mois.
2. LecheminduCinabre, Archè-Arktos, Milano-Carmagnola1982, p. 162. Nouscitonsici les
ouvrages d’Evola d’après leur édition la plus récente.
3. Cf. notamment sonentretienavecGianfrancodeTurris, inIl Conciliatore, 15janvier 1970, pp.
16-19.
4. Il aparuenItaliedepuis1950prèsdedouzeéditionsdifférentesd’Orientations, dont uncertain
nombrequasimentclandestines. S’yajoutentdeuxtraductionsfrançaisesintégrales(« Orientations »,
in Julius Evola, le visionnaire foudroyé, Copernic, Paris 1977, pp. 29-54, trad. Pierre Pascal ;
Orientations, Pardès, Puiseaux 1988, 94p., trad. PhilippeBaillet), deux traductions espagnoles
(Orientaciones, Graal, Madrid, et Bau, Barcelona1974, 61p., trad. FrancescoZ. Giorcelli et Sol
MuñozLafitta ; Orientaciones, Imperium, BuenosAires 1977), ainsi quedes traductionsgrecque
(« Prosanotolismoi », inAnthropinesSkeseis, Athènes, décembre1972, pp. 28-33et 50, trad. Harry
Guitakos), néerlandaise(Oriëntaties, CentroStudi Evoliani, Gent-Brussel 1982, 23p., trad. Peter
Logghe), polonaise (Orientacje, Parzival, Chorzów 1993, trad. Bogdan Koziel) et hongroise
(Orientációk, StellaMarisKiadó, Budapest 1998, 89p., trad. GáborZsuzsa). Leshommesaumilieu
desruinesaétérééditésixfoisenItalie, tandisquesatraductionfrançaiseafait l’objet dedeux
éditions différentes(Les hommes aumilieudes ruines, Sept couleurs, Paris 1972, 252p., trad.
anonyme ; 2e éd. augm. : GuyTrédaniel-LaMaisnie, Paris, et Pardès, Puiseaux1984, 284p., trad.
rév. et complétéepar GérardBoulanger). Il enexisteaussi destraductionsespagnole(Loshombres
ylasruinas, Alternativa, Barcelona1984, 254p., trad. MarcosGhio), allemande(Menscheninmitten
vonRuinen, Hohenrain, Tübingen1991, 406p., trad. Rainer M. Natlacen) et anglaise(MenAmong
theRuins. Post-War Reflectionsof aRadical Traditionalist, Inner TraditionsInternational, Rochester
2002, trad. Guido Stucco).
5. Cf. notamment lesSaggi di dottrinapolitica. Crestomaziadi saggi politici (Casabianca-Mizar,
Sanremo 1979 ; 2e éd. : Saggi di dottrina politica, I Dioscuri, Genova 1989 ; trad. fr. : Essais
politiques. Idéeimpérialeet nouvel ordreeuropéen—Economieet critiquesociale— Germanisme
et nazisme, Pardès, Puiseaux1988), recueil oùl’ontrouvedestextesdéveloppant souvent defaçon
suggestivedes considérations également présentes dans Les hommes aumilieudes ruinesou
abordant des sujets non examinés dans ce livre.
6. Pierre-André Taguieff, « Julius Evola penseur de la décadence. Une “métaphysique de
l’histoire”danslaperspectivetraditionnelleet l’hyper-critiquedelamodernité », inPoliticaHermetica,
1, L’Age d’homme, Lausanne 1987, p. 16.
7. Julien Freund, L’essence du politique, Sirey, Paris 1965, p. 25.
8. Qu’est-ce que la politique ?, Seuil, Paris 1982, p. 177.
9. Révolte contre le monde moderne, L’Age d’homme, Lausanne 1991, pp. 42.
10. Ibid., p. 41.
11. Les hommes au milieu des ruines, Guy Trédaniel-Pardès, Paris-Puiseaux 1984, p. 29.
12. C’est cette attitude que Julien Freund dépeint comme foncièrement « impolitique », la
reconductiondupolitiqueàlamétaphysiquen’étant àsesyeuxqu’unefaçonparmi d’autresdelui
dénier uneessenceautonome(pour d’autresauteurs, lapolitiquedoit êtresoumise, rabattueou
placée dans la dépendance de la morale, du droit, de la technique, de l’économie, etc.).
13. Préface à la deuxième édition française d’Orientations, Pardès, Puiseaux 1988, p. 9.
14. Orientations, op. cit., p. 58.
15. Les hommes au milieu des ruines, op. cit., p. 41.
16. « Ondevrait étudier desformulesqui transformeraient graduellement l’ouvrier enpropriétaire
au petit pied » (Les hommes au milieu des ruines, op. cit., p. 172).
17. « Il faudrait que l’anonymat et le désintéressement propres à l’ancien corporatisme
resurgissent danslemondedelatechniquesousuneformeinédite, lucide, essentielle »(ibid., p.
171).
18. Orientations, op. cit., pp. 55-56.
19. « Vedute sull’ordine futuro delle nazioni », in La Vita italiana, septembre 1941.
20. Les hommes au milieu des ruines, op. cit., p. 52.
21. « Lesocialismeest lesocialisme, et lui ajouterl’adjectif “national”n’est qu’undéguisement en
formedecheval deTroie »(Lefascismevudedroite. Suivi de : Notessur leTroisièmeReich,
Pardès, Puiseaux 1993, p. 102).
22. C’est cetteoppositionàtout cequi est del’ordredelaquantitéet delaseule« nature »qui a
conduit Evolaàprendreunepositionnettement antinatalisteassezoriginaledanslesmilieux« de
droite ». N’hésitant pas à parler de« débordement des naissances », et même de « fléaudes
naissances », enyvoyant unavatar dela« puissancedunombre », Evolaenappelleavecforceà
une« politiqueantidémographique ». Il nes’interrogetoutefoispasplusavant pour connaîtreles
raisons de la moindre fécondité démographique des élites.
23. « Signification de l’aristocratie », in Julius Evola, Tous les écrits de « Ur » &« Krur »
(« Introduction à la magie »). « Krur » 1929, Archè, Milano 1985, p. 43.
24. Les hommes au milieu des ruines, op. cit., p. 94.
25. Orientations, op. cit., p. 51.
26. Ibid., pp. 77-79.
27. Ibid., p. 55.
28. « L’idéeolympienneet ledroit naturel », inL’arcet lamassue, GuyTrédaniel-Pardès, Paris-
Puiseaux 1983, pp. 77.
29. Les hommes au milieu des ruines, op. cit., p. 34.
30. Révolte contre le monde moderne, op. cit., p. 64.
31. Ibid., p. 383.
32. Les hommes au milieu des ruines, op. cit., p. 36.
33. Ibid., pp. 37.
34. JuliusEvola, métaphysicienet penseurpolitique. Essai d’analysestructurale, L’Aged’homme,
Lausanne 1998, p. 210.
35. Ibid., p. 12. Cf. aussi p. 179 : « Touteladoctrinepolitiqueévoliennes’inscrit dansleschéma
général delabipolaritémasculin-fémininet reposesur laconvictionquel’Etat peut et doit être
l’expression politique de la virilité spirituelle ».
36. Métaphysique du sexe, L’Age d’homme, Lausanne 1989, p. 224.
37. Conférencedu10décembre1937, prononcéeauStudienkreisdeBerlin(« Restaurationde
l’Occident dans l’esprit aryen originel », in Totalité, octobre 1985, pp. 15-35).
38. « HistoiresecrètedelaRomeantique : les“Livressibyllins” », inTotalité, juin-août 1978. On
notera qu’Evola range les Etrusques et les Pélasges parmi les peuples non indo-européens,
affirmationpour lemoinsdiscutable(et d’ailleursaujourd’hui deplusenplusdiscutée). L’élément
grec, prisglobalement, apar ailleurstoujoursbeaucoupmoinsretenusonattentionquel’élément
romain.
39. Les hommes au milieu des ruines, op. cit., p. 34.
40. Onreconnaît ici l’influencedeBachofen, enmêmetempsquel’idée, aujourd’hui àpeuprès
abandonnée(sinondanscertainsmilieuxféministes), selonlaquellelecultededivinitésfémininesou
l’existenced’unsystème defiliationmatrilinéairevanécessairement depair avec une véritable
« gynécocratie », c’est-à-direuneautoritéprépondérantedesfemmesdansledomainepolitiqueet
social. Cf. JuliusEvola, Il matriarcatonell’operadi J.J. Bachofen, FondazioneJuliusEvola, Roma
1990. Acepoint deladémonstration, Evolasegardebiend’évoquer l’omniprésent patriarcat de
l’ancienIsraël. Il oubliepareillement que, danslepanthéonindo-européen, lesdieuxneseposent
nullement comme en « adversaires » des divinités féminines.
41. Révolte contre le monde moderne, op. cit., p. 259 (« composante dissolvante »).
42. Masqueset visagesduspiritualismecontemporain. Analysecritiquedesprincipauxcourants
modernesversle« suprasensible », Pardès, Puiseaux1991, p. 140. Evola, commeonl’avu, va
jusqu’à attribuer une nature « féminine » à l’« idéal sacerdotal », opinion qui ne pouvait que
scandaliserRenéGuénon. S’éprouvant lui-mêmecommeun« guerrier », il affirmequel’élément viril
réside, nondanslesacerdoce,maisdanslaroyauté,cequi l’amèneàdéfinirle« typeroyal »comme
le« typemâlequi détermineet dominelasubstanceoriginelleconçuecommemèreet comme
femelle »(« Autoritéspirituelleet pouvoir temporel », inJuliusEvola, « Krur »1929, op. cit., p. 182).
« Laroyauté,écrit-il encore, alaprimautésurlesacerdoce, précisément comme, danslesymbole, le
soleil a la primauté sur la lune, et l’homme sur la femme » (Révolte contre le monde moderne, op. cit.,
p. 112).
43. Révolte contre le monde moderne, op. cit., p. 346.
44. Les hommes au milieu des ruines, op. cit., p. 35.
45. Ibid., p. 39.
46. Chevaucher le tigre, Guy Trédaniel, Paris 1982, p. 188.
47. « Eticità dell’autarchia », in Il Regime fascista, 7 juin 1938.
48. Métaphysique du sexe, op. cit., pp. 15-16.
49. Op. cit., p. 73.
50. Ibid., p. 101.
51. Révolte contre le monde moderne, op. cit., p. 264.
52. Le chemin du Cinabre, op. cit., p. 59.
53. Op. cit., p. 62.
54. Les hommes au milieu des ruines, op. cit., p. 37.
55. Orientations, op. cit., p. 54.
56. Le chemin du Cinabre, op. cit., p. 9.
57. Teoriadell’Individuoassoluto, Bocca, Torino1927 ; Fenomenologiadell’Individuoassoluto,
Bocca, Torino1930. Cf. aussi lesécritsdecettepérioderassemblésinJuliusEvola, L’Idealismo
Realistico, 1924-1928, éd. par Gianfranco Lami, Antonio Pellicani, Roma 1997.
58. Lettre à Mircea Eliade, 28 mai 1930.
59. Le chemin du Cinabre, op. cit., p. 9.
60. Les hommes au milieu des ruines, op. cit., p. 53.
61. Louis Dumont, Homo aequalis. Genèse et épanouissement de l’idéologie économique,
Gallimard, Paris1977 ; Essaissur l’individualisme. Uneperspectiveanthropologiquesur l’idéologie
moderne, Seuil, Paris 1983.
62. « “Cavalcarelatigre”et l’individualismodi JuliusEvola », inLaSocietàdegli individui, 1998, 3,
p. 77.
63. Leshommesaumilieudesruines, op. cit., p. 52. Cf. aussi la4epartiedeChevaucherletigre,
intitulée« Dissolutiondel’individu ». Danssonlivrede1928, Impérialismepaïen, Evolareprend
encore ses thèses sur l’« individu absolu », déclarant déplorer avant tout « la décadence, en
Occident, delavaleurdel’individualité ». « Bienquecelapuissesemblerétrange, écrit-il, ontrouveà
labasedenotreimpérialismedesvaleursqui apparaissent également commeprésupposéesparles
formeslibéralesdeladémocratie.Ladifférencetient aufait que, danslelibéralisme, cesvaleurssont
affirméespar uneraced’esclaves[sic] qui n’osepaslespenser et lesvouloirjusqu’aubout, pouret
dansl’individu, maisqui lesdéplaceaucontraire, defaçonillégitimeet égalitariste, àla“société”et à
l’“humanité” ». Il est révélateur qu’Evola, dans ce passage, loin de dénoncer les présupposés
individualistes deladoctrinelibérale, reprocheaucontraireaulibéralismedenepas oser « les
penseret lesvouloirjusqu’aubout ». Cetteabsolutisationdel’individu—paroppositionaupeuple—,
qui menaceàtout instant deverserdanslesolipsisme, abienéténotéeparPhilippeBaillet, qui écrit
àproposd’Impérialismepaïen : « L’“individualisme” nietzschéenest ici tendujusqu’àlacaricature :
certainspassages[...] paraissent simplement ériger enphilosophiepersonnelleuneagoraphobie
absolue. La“socialité”, dont l’origineest attribuéesansmoyentermeauchristianismeprimitif, est ici
synonymede“contamination”. Lacommunautén’existepas, ouplutôt seconfondaussitôt avecla
“collectivité” abhorrée. Le “peuple” est une fiction, un flatus voici que démasque la lucidité
nominaliste : il s’identifieàlamasse, qui n’est rientant qu’ellen’apasétémodeléeparlavolontédes
“dominateurs”, des“maîtres”. Il faut insister sur cetteabsencetotalededimensioncommunautaire.
Enoncéeici sous uneformeextrémiste, l’“asocialité” évoliennenefera quechanger demodes
d’expression, maisnondestatut, dans toutel’œuvrepostérieure »(« Commeunebouteilleàla
mer... », préfaceàJuliusEvola, Impérialismepaïen, Pardès, Puiseaux1993, p. 19). Dansunautre
textesur Evola, PhilippeBaillet ajoute : « Enrejetant danssajeunesse(et ennerevenant jamais
vraiment surcerejet)latraditionréalisteou“objectiviste”delaphilosophieclassique[...] auprofit du
“contingentisme” del’individuabsoluqui affirmelalibertésuprêmeduMoi jusquepar l’arbitraire,
[Evola] entrait nécessairement dansl’orbitedu“culte” fascistedel’action, entendudanssonsensle
plusprofond : l’activismecommesolipsismevécu, enacte[...] Lesolipsismeévolien, indissociable
d’unitinérairetrèspersonnel oùunecertaineesthétiqueentrepour unepart nonnégligeable, est
aussi à notre sens lacause première, par le relativismequi lui est inhérent, de l’impossibilité
intrinsèque, et nonaccidentelle, devoir naîtreunjour, àpartir del’œuvred’Evola, uneécolede
penséeautonome, auxcontoursclairement définiset auxobjectifsunitaires »(« JuliusEvolaet les
“électronslibres”. Autour duDossier HconsacréàJuliusEvola », inPoliticaHermetica, 12, 1998, p.
266).
64. « Les deux visages du nationalisme », in Essais politiques, op. cit., p. 56.
65. « Traditionet réaction : lafiguredeJuliusEvola », inMil neuf cent, 9, 1991, p. 93. Onpeut
noter quel’undesrapportssecretssur Evolarédigésdanslecadredel’Ahnenerbe, rapport qui fut
adresséendatedu31août 1938àHimmler, fait état deson« individualismeextrême »et deson
« individualismeabsolu ». Cf. BrunoZoratto, Julius Evolanei documenti segreti dell’Ahnenerbe,
Fondazione Julius Evola, Roma 1977, pp. 35-43.
66. « Les deux visages du nationalisme », art. cit., p. 56.
67. Les hommes au milieu des ruines, op. cit., p. 83.
68. Les hommes au milieu des ruines, 2e éd., op. cit., p. 66.
69. Ibid., p. 239.
70. « L’Etat et le travail », in Explorations. Hommes et problèmes, Pardès, Puiseaux 1989, p. 42.
71. Les hommes au milieu des ruines, op. cit., p. 66.
72. « Fonctionet signification del’idéeorganique », in Julius Evola, levisionnairefoudroyé,
Copernic, Paris 1977, p. 56.
73. « L’Etat et le travail », art. cit., p. 35.
74. Le fascisme vu de droite, op. cit., p. 59.
75. « Ladroiteetlaculture »,inExplorations,op.cit., p. 280.Cf.aussi JuliusEvola, Citazioni sulla
Monarchia, Thule, Palermo 1978.
76. Onrappelleraici que, danslecasdelaFrancetout aumoins, lesrelationsentreleroi et
l’aristocratieont étéplusquefréquemment conflictuelles : lessouverainsfrançaisont constamment
luttécontreles« féodaux ». HermanndeKeyserling, pour qui JuliusEvolan’avait guèred’estime,
écrit desoncôté : « Lesaristocratessont toujourspareux-mêmesrépublicains ; laformenormalede
l’Etat pour lespeuplesàstructurearistocratiqueest, par conséquent, larépubliqueet nonpasla
monarchie, car celui qui alaconscienceseigneurialenesupportequedifficilement au-dessusdelui
quelqu’unqui secroit supérieur »(L’analysespectraledel’Europe, Gonthier-Médiations, Paris1965,
p. 156).
77. Théorie du pouvoir politique et religieux [1796], UGE/10-18, Paris 1966, p. 21.
78. Parlant duchristianisme, il lui est toutefoisarrivéd’écrireque« lerejet, ledétachement violent
delanaturemènent àsadésacralisation, àladestructiondelaconceptionorganiquedumonde
commecosmos »(L’arcet lamassue, op. cit., p. 202). Maisonvoit mal comment ceslignesse
concilient avecsesappelsconstantsenfaveurd’unedominationparl’élément « viril »detout cequi
est del’ordredelaseule« nature ». DansChevaucher letigre, Evolaprécise : « Tout “retour àla
nature” (formulequi, généralisée, peut aussi incluretouteslesrevendicationsaunomdesdroitsde
l’instinct, del’inconscient, delachair, delavieinhibéepar l’“intellect” et ainsi desuite) est un
phénomène de régression » (op. cit., p. 154).
79. Lepremierlivred’Evolatraduit enlangueallemande, Imperialismopagano(Atanor, Todi-
Roma1928), fut publiédansuneversionréviséeet largement modifiéepar l’auteur par unemaison
d’éditiondirectement liéeauxmilieuxvölkisch : Heidnischer Imperialismus, Armanen, Leipzig1933
(retraduction en italien de la version allemande : « Heidnischer Imperialismus », Centro Studi
Tradizionali, Treviso1991). Sur lesrapportsd’EvolaaveclaRévolutionconservatrice, cf. aussi H.T.
Hansen, « JuliusEvolaunddiedeutscheKonservativeRevolution », inCriticón, Munich, avril-juin
1998, pp. 16-32.
80. Plusieursthéoriciensvölkisch, parmi lesquelsErnst Bergmannet surtout HermanWirth, dont
Evolaappréciait lestravauxsur lesorigines« atlanto-occidentales »delacivilisationeuropéenne,
soutenaient encequi concernelapolaritémasculin-féminl’idée, totalement opposéeàlasienne,
d’unenette supériorité des valeurs féminines sur les valeurs masculines. Cf. Ernst Bergmann,
Erkenntnisgeist undMuttergeist. EineSoziosophieder Geschlechter, FerdinandHirt, Breslau1932 ;
HermanWirth, DerAufgangderMenschheit. UntersuchungenzurGeschichtederReligion, Sumbolik
und Schrift der Atlantisch-Nordischen Rasse, Eugen Diederichs, Jena 1928.
81. Danssoncélèbrelivre, DerGeist alsWidersacherder Seele, dont l’influencefut considérable
auseindelaRévolutionconservatrice, LudwigKlagesaprécisément pudécrirel’« esprit »commele
pire adversaire de l’« âme ».
82. Révolte contre le monde moderne, op. cit., p. 65.
83. Cf. JuliusEvola, L’« Operaio »nel pensierodi Ernst Jünger, ArmandoArmando, Roma1960
(2e éd. : Giovanni Volpe, Roma 1974 ; 3e éd. : Mediterranee, Roma 1998).
84. Cf. OswaldSpengler, Il tramontodell’Occidente, Longanesi, Milano1957. Letextedela
préface d’Evola a été réédité, avec deux autres, in Julius Evola, Spengler e il Tramonto
dell’Occidente, Fondazione Julius Evola, Roma 1981.
85. JuliusEvola, Il fascismo. Saggiodi unaanalisi criticadal puntodi vistadellaDestra, Giovanni
Volpe, Roma1964 ; 2e éd. : Il fascismovistodellaDestra. Notesul TerzoReich, Giovanni Volpe,
Roma1970. Cf. aussi PhilippeBaillet, « LesrapportsdeJuliusEvolaaveclefascismeet lenational-
socialisme », in Politica Hermetica, 1, 1987, pp. 49-71.
86. Onsait enoutreaujourd’hui, grâceauxdocumentsretrouvésdanslesarchivesdel’ancien
ministèredelaCulturepopulaire(« Minculpop »), d’abordquesongradedelieutenant lui fut retiréen
avril 1934aprèsqu’il eut refusédesebattreenduel avecunjeunejournalistedunomdeGuglielmo
Danzi qui s’était déclaréhostileàsesvues, et d’autrepart qu’il demandaendécembre1939à
adhérerauParti national fasciste(PNF)afindepouvoirseportervolontairesurlefront, demandequi
fut officiellement rejetéeenavril 1943parlaCourcentralededisciplineduparti, aumotif que« toute
l’activitéculturelled’Evola, tellequ’elleémergedesinformationsrecueillieset decequel’onconnaît
desesécritset desesdiscourslaissefortementdouterdesonadhésioninconditionnelleàladoctrine
fasciste ». Cf. DanaLloydThomas,« QuandoEvolafudegradato »,inIl Borghese,24mars1999, pp.
10-13.
87. LesdixnumérosdeLaTorreont fait l’objet d’uneréimpressionintégrale : LaTorre. Fogliodi
espressioni varie e di tradizione una, Il Falco, Milano 1977.
88. Ycomprispar Evolalui-même, qui lesareprisesdanssonautobiographie. Cf. Lechemindu
Cinabre, op. cit., p. 95.
89. « Autodéfense », inTotalité, octobre1985, p. 87. « Si lesidées“fascistes”doivent êtreencore
défendues,lit-onégalementdansLeshommesaumilieudesruines,ellesdevraientl’être, nonentant
qu’ellessont “fascistes”, maisdanslamesureoùellesreprésentent, sousuneformeparticulière,
l’expressionet l’affirmationd’idéesantérieureset supérieuresaufascisme »(op. cit., p. 26). Lefait
qu’Evolaait reprispresquetextuellement danscelivresesproposde1951tendàmontrerqueceux-
ci ne relevaient pas d’un discours de circonstance.
90. Cf. notamment les Essais politiques, op. cit.
91. Le chemin du Cinabre, op. cit., p. 146.
92. Critiquant l’institution duService duTravail (Arbeitsdienst), Evolase déclarenotamment
indignéqu’« unejeunefilledel’aristocratie[ait pu] ainsi seretrouver obligéedevivreencommun
avecunepaysanneouuneprolétaire, dansunefermeouuneusine »(Lefascismevudedroite, op.
cit., p. 172).
93. BenitoMussolini, « Ladoctrinedufascisme », inLefascisme. Doctrine, institutions, Denoël et
Steele, Paris 1933, p. 49.
94. « LeSS,guardiae“Ordine“dellarivoluzionecrociuncinata », inLaVitaitaliana,août 1938. On
noteraqueles« Ordensburgen »construitsdansl’Allemagnehitlériennen’avaient enfait strictement
rienàvoir aveclaSS. Il s’agissait decentresdeformation, construitsàlademandeduFront du
travail (Arbeitsfront), àl’intentiondesseulsmembresduparti. C’est àtort quePhilippeBaillet aparlé,
commebeaucoupd’autres, des« fameux“Châteauxdel’Ordre” delaSS »danssapréfaceàla
premièreéditionfrançaiseduFascismevudedroite(CercleCultureet liberté, Paris1981, p. 15).
Nousavonsfait allusionplushaut (note65) aurapport adresséàHimmlerenaoût 1938, aumoment
mêmeoùparaissait l’articled’Evola. Cerapport concluait àl’incompatibilitédesidéesdeJuliusEvola
aveclenational-socialisme. Cf. BrunoZoratto, JuliusEvolanei documenti segreti dell’Ahnenerbe, op.
cit. ; GianfrancodeTurriset BrunoZoratto(éd.), JuliusEvolanei rapporti delleSS, FondazioneJulius
Evola, Roma2000. Cf. aussi FrancescoGerminario, Razzadel sangue, razzadellospirito. Julius
Evola, l’antisemitismoeil nazionalsocialismo, 1930-1945,Bollati Boringhieri, Torino2001. Rappelons
parailleursquetoutelalumièreest encoreloind’avoirétéfaitesurlescontactsqu’Evolaapunouer
en Allemagne et en Autriche avant 1945.
95. Cequereconnaîtd’ailleursEvolalorsque, évoquantlesrèglesdeviedesmembresdelaSS,il
écrit : « Ainsi seréaffirmait lebiologismeraciste, liéàunecertainebanalisationdel’idéal féminin, un
relief particulier étant donnéàl’aspect “mère” delafemme »(Lefascismevudedroite, op. cit., p.
207).
96. « LesrapportsdeJuliusEvolaaveclefascismeet lenational-socialisme », art. cit., p. 60. Par
manquedeplace, nousnepouvonsici quefaireallusionàl’intérêt portéparEvolaàlaGardedeFer
et auMouvement légionnaireroumain(laLégiondel’archangesaint Michel). Onsait qu’Evolaa
témoigné d’une admiration presque inconditionnelle envers Corneliu Codreanu, le chef de ce
mouvement, enallantjusqu’àvoirenlui l’« archétypemêmearyo-romain »(« LatragédiedelaGarde
deFer », inTotalité, 18-19, 1984, p. 180). Cf. aussi JuliusEvola, LatragediadellaGuardiadi Ferro,
FondazioneJuliusEvola, Roma1996 ; ClaudioMutti, JuliusEvolasul frontedell’Est, All’insegnadel
Veltro, Parma1998. Mais, commel’abiennotéJean-Paul Lippi, cet élogelaisseperplexesi l’ontient
compteducaractèreprofondément chrétiendumouvement légionnaireet surtout desoncaractère
mystique, Evolaayant toujoursdénoncédanslamystique, cemouvement del’âme, unélément
relevant de la « spiritualité lunaire » et du « pôle féminin de l’esprit ».
97. « L’influenzadi Evolasullagenerazionechenonhafattointempoaperderelaguerre », in
Gianfranco de Turris (éd.), Testimonianze su Evola, 2e éd., Mediterranee, Roma 1985, p. 132.
98. « La Droite et la Tradition », in Explorations, op. cit., p. 305.
99. Le fascisme vu de droite, op. cit., p. 124.
100. Ibid., p. 61.
101. Orientations, op. cit., p. 85.
102. « Dansuncertainsens, l’américanisme, pournous, est plusdangereuxquelecommunisme :
parcequ’il est unesortedecheval deTroie »(Orientations,op. cit., p. 61). Evolaveutclairement dire
par làquecequel’onpeut leplusreprocher àl’« américanisme », c’est deconduireendouceur au
bolchevisme...
103. Chevaucher le tigre, op. cit., p. 15.
104. Le chemin du Cinabre, op. cit., pp. 195 et 201.
105. Le fascisme vu de droite, op. cit., p. 21.
106. Le chemin du Cinabre, op. cit., p. 210.
107. Chevaucher le tigre, op. cit., p. 215.
108. Le chemin du Cinabre, op. cit., p. 195.
109. Orientations, op. cit, p. 94.
110. Laformule« chevaucher letigre »acependant puêtreinterprétéedanscertainsmilieux
politiques activistes commesusceptibledelégitimer undésir, nonplus derectifier lecours des
choses, maisaucontrairedel’accélérer : puisquelafindecycledoit detoutefaçonadvenir,autant la
hâter pour ensortir plusvite. Lestenantsdecettepositionsesont parfoisappuyéssur cequ’Evola,
enréférenceauxdoctrinestantriques, aappeléla« VoiedelaMaingauche », manièred’agircensée
intensifier lesprocessusjusqu’àcequ’ilssetransforment enleur contraire, selonle« principedela
“transformationdestoxiquesenmédicaments” »(JuliusEvola, « Sexeet contestation », inJulius
Evola,levisionnairefoudroyé,op.cit.,p. 119).Evolaatoutefoislui-mêmerejetécetteinterprétation.Il
souligneeneffet quelaVoiedelaMaingauchenepeut êtreempruntéequesur unplanspirituel,
pour œuvrer àladestructiondumoi qui seulepermet d’accéderàl’absolu. « Danslecontextedont
noustraitons, précise-t-il, l’idéede“destruction”est associéeàcellede“transcendance” : il nes’agit
doncpasdedétruirepour détruire, maisdedétruirepour transcender »(« Sur la“VoiedelaMain
gauche” », inExplorations, op. cit., p. 144). Revenant sur l’expressionde« chevaucher letigre », il
souligneégalement, danssonautobiographie, que « danscelivre, laformules’appliqueuniquement
auxproblèmesintérieursdelapersonne, àsoncomportement, àsonagiret réagirdansuneépoque
de dissolution, sans aucune finalité extérieure, sans même avoir en vue l’avenir, c’est-à-dire
l’éventuellefermetured’uncycleet lecommencement d’unnouveaucycle »(LecheminduCinabre,
op. cit., p. 196 ; nousavonscorrigéledébut delatraductionfrançaisedecepassage, qui indiqueà
tort : « la formule n’est appliquée aux problèmes intérieurs... »).
111. Le chemin du Cinabre, op. cit., pp. 204-205.
112. Le chemin du labyrinthe. Souvenirs d’Orient et d’Occident, Robert Laffont-Opera Mundi, Paris
1981, p. 340.
113. Orientations, op. cit., p. 59.
114. Les hommes au milieu des ruines, op. cit., p. 107.
115. Op. cit., p. 107.
116. « Ladécadence, écrit-il par exemple, apparaît commelesensdel’histoire[soulignépar
nous], enceci qu’onconstate,auseindel’histoire, ladisparitiondescivilisationsdetype“traditionnel”
et l’avènement deplusenplusprécis, général, planétaire, d’unenouvellecivilisationcommunede
type moderne » (« Le problème de la décadence », p. 53).
117. « L’avènement du “cinquième état” », in Explorations, op. cit., p. 27.
118. « Fonctionet significationdel’idéeorganique », art. cit., p. 60. Pierre-AndréTaguieff noteà
ce propos qu’« il suffit d’intervertir les signes pour [...] retrouver la loi fondamentale de la
métaphysique de l’histoire » (« Julius Evola penseur de la décadence », art. cit., p. 28).
119. Le gai savoir.
120. Les hommes au milieu des ruines, op. cit., p. 90.
121. Ibid., p. 96.
122. Ibid., p. 90.
123. Ibid., p. 55.
124. Ibid., p. 56.
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