LE SYSTEME DES MEDIAS
Alain de Benoist
Pour parler desmédias, il faut commencer par rappeler quelquesbanalités. Les
techniques de communication ont connuau cours deces dernières années un
extraordinairedéveloppement, qu’il s’agisseducâbleet dusatellite, delatélévision
hautedéfinition, del’explosiondelatélématique, dulancement duréseauInternet,
etc.1 Grâce à ces nouvelles technologies, nous vivons désormais à l’ère de la
globalité instantanée, c’est-à-dire de la possibilité d’une diffusion, d’une
retransmissionoud’uneinteractionimmédiate, aussi bienauniveaufinancier et
boursier que politico-médiatique.
Cetteglobalisationmédiatiques’exprimepar deschiffresd’unordredegrandeur
encorejamaisétévu. Enl’espacedequelquessemaines, unfilmàgrandspectacle
—commeTitanicouLaguerredesétoiles—peut êtrevupar desdizaines, sinon
descentainesdemillionsd’individusdanslemonde. LadernièreCoupedumonde
defootball aétéregardéepar deuxmilliardsdetéléspectateurs. « Avecl’avènement
dunumérique et dumultimédia, remarque IgnacioRamonet, le système est en
mesuredediffuser unmêmemessageencontinuet endirect àl’ensembledela
planète »2. Cetteseuleobservationpermet demesurer l’extraordinairepouvoir des
médias —et la faiblessedes moyens qu’onpourrait leur opposer. Les médias
peuvent promouvoir oudiscréditerunhommeenuninstant àl’échelleplanétaire. Ils
peuvent décider des idées qu’il faut accepter ou rejeter, des produits qu’il faut
acheter, desspectaclesqu’il faut aller voir. Il n’est pasexagérédedirequ’untel
pouvoirexcèdelargement lescapacitésdepropagandedont ont pudisposerdansle
passélesrégimestotalitaires, et qu’il ouvredespossibilitésded’influenceoude
conditionnement que Goebbels ou Staline n’auraient même pas imaginées3.
Cette explosion technologique met également en jeu de formidables intérêts
économiqueset financiers, àlamesuredesmarchésviséset desinvestissements
nécessaires pour les atteindre. Les industries de l’information ne cessent
d’augmenter leursbudgetsdepublicitéet depromotion. Lesproduitsdérivésd’un
filmrapportent fréquemment plusquelefilmlui-même, et lebudget delancement
d’undisquedevariétéscoûtesouventpluscherquesaproduction. Aufil desrachats
et desfusions, onvoit semettreenplacedesquasi-monopolesplanétaires. Voici
quelquesannées, lerachat par AOL(AmericaOnline), premier fournisseur mondial
d’accès à Internet, du groupe Time-Warner, qui allait quelques jours plus tard
fusionner avecEMI, adonnénaissanceàunmonstretotalisant plusde100millions
d’abonnéset quelque261milliardsdedollarsdecapitalisationboursière, l’opération
de rachat étant elle-même évaluée à 350 milliards de dollars.
RégisDebrayatrèsbienmontréquel’humanitéest passéedurant sonhistoirepar
trois« médiasphères »différentes : delalogosphère(écriture) àlagraphosphère
(imprimerie), puisdelagraphosphèreàlavidéosphère(audiovisuel). Achacunede
cesmédiasphèrescorrespondunmédiumdominant, et àchaquemédiumdominant
correspond un certain mode d’organisation et de fonctionnement de la classe
administrative, une certaine technique de transmission, un certain type de
domination politique et symbolique4.
Al’intérieurd’unemédiasphère, lemédiumdominant est toujourscelui qui garantit
lemeilleurrapport entrelecoût etl’efficacité. Aujourd’hui, lemédiumdominant est de
toute évidence la télévision5.
Aucunappareil domestiquenes’est diffuséplusrapidement et plusmassivement
quelatélévision. Onlatrouveaujourd’hui danspratiquement touslesfoyers, même
les plus démunis. C’est au point que son absence étonne et suscite des
interrogations : qui n’apaslatéléapparaît aumieuxcommeunoriginal, aupire
commeunadversaireduprogrès. Danslaplupart desfoyers, latélévisiontrônedans
lapièceprincipale, dont l’agencement « sefait enfonctionduposte, et nonpour
former uncercle convivial »6. L’appartement se trouveainsi centré autour dela
télévision, source lumineuse dispensatrice d’images dont l’apparition met
généralement finaux conversations. Nombredegens ouvrent machinalement la
télévision, commeonfait couler unrobinet, oulalaissent alluméeenpermanence,
parfoisdans plusieurs pièces enmêmetemps. Dès 1990, uneenquêteofficielle
montrait qu’elleest « si intégréeauquotidienquelefait d’allumer neparaît pas
constituer, danslamajoritédesfoyers, unedécisioncorrespondant àunvéritable
choix ». Dans plus de60%desfoyers, ellefonctionneàl’heuredes repas. La
majoritédestéléspectateursneregardent d’ailleurspasunprogrammeparticulier. Ils
regardent latélévision, qui n’est plusdèslorsunmoyendecapter uneémission,
mais l’objet même du spectacle.
Regarder latélévisionconstitueaujourd’hui, pour les Occidentaux, latroisième
activitéprincipale, aprèsl’exerciced’uneactivitéprofessionnelleet lesommeil. Ony
passeenmoyennetroisheuresparjourenFrance, quatreheuresauxEtats-Unis—
beaucoup plus qu’à se nourrir, à sortir ou à faire l’amour. Le conditionnement
commencetrèstôt, favorisépar uneappétenceàl’écraninduitedèsleplusjeune
âge. Avant mêmedesavoir lire, unenfant apassédesmilliersd’heuresdevant la
télévision. Dès l’âgededeux ans, il sait allumer leposte, dont laluminositéle
fascine : c’est unfait bienconnudesparentsque« latélévisionest laseulechose
qui immobiliselepetit enfant, personnetrèsactivedansd’autrescirconstances »7. Il
n’en va guère différemment à l’âge adulte. Le journal télévisé de 20 heures
rassembleenFranceplusdespectateursquetouslesquotidiensdumatinet du
soirsn’ont ensembledelecteurs. Onestimeenoutrequ’environ70%desFrançais,
soit les deux tiers de la population, ont la télévision pour seule source d’information.
La télévision a elle-même connu une évolution technologique rapide. Le
développement delavidéo, lamiseaupoint decamérasportableset decaméras
numériques, laretransmissionpar satellite, lui ont donnéunemobilitéqui lui permet
d’être omniprésente. Etant le médium dominant, c’est elle qui imprime sa marque aux
autresmédias. Onleconstateàlafaçondont l’informationest traitéedanslapresse
écrite. Lacontagiondel’audiovisuel s’ymarquepar laplacegrandissantedonnéeà
l’image, lalégèretédelamiseenpage, letonhumoristiqueouracoleurdestitres, la
brièvetéet lasuperficialitédesarticles, lamultiplicationdesanecdotes, lerecoursà
l’émotion, et bienentenduleconformisme. Pour survivre, touslesmédiasdoivent
intégrer lesnormeset lesfaçonsdefairedupetit écran : laplacedessuppléments
télévisionnecessed’augmenter danslesjournaux. Lesjournalistesdelapresse
écritenejouissent d’ailleursd’unevéritablenotoriétéquelorsqu’ilsparticipent àdes
émissionstélévisées. Leséditeurset leslibrairesdoivent euxaussi compteravecles
perspectivesd’éditionnumériquedématérialisée. Lecinémaest lui-mêmeconçude
plus en plus en fonction de son exploitation à la télévision, tandis que le
développement d’Internet (qui comptedéjàenFranceplusdesixmillionsd’abonnés,
soit autant qued’acheteursdequotidiens) laissedéjàprévoir lacyberdistributionde
certains longs-métrages.
Le petit écran, on le sait, est également devenu l’élément central de la vie
politique. L’avenir d’unhommepolitiquedépenddesanotoriété, et sanotoriété
dépenddesmédias—c’est-à-direqu’elleseconfondavecsavisibilité. Leshommes
politiquessont donc tenus des’adapter auxexigencesdelatélévision. C’est en
fonctiondesesrèglesqu’ilsdoivent apprendreà« communiquer », àdoser leurs
« petites phrases »et leurs effets d’annonce, àcourir après l’audience queleur
concèdent ceux qui comptabilisent immédiatement leur score, à répondre aux
questionsdes journalistes qui pratiquent àleur égardunirrespect systématique,
lequel n’est pas lesignedeleur indépendancemais plutôt lerévélateur deleur
mépris. Il n’yajamaisautant dedéputésprésentsàl’Assembléenationalequele
jour oùlesdébatsparlementairessont filmés. L’important est desefairevoir. La
télévision, end’autrestermes, est devenue« l’arbitredel’accèsàl’existencesociale
et politique » (Pierre Bourdieu).
Cetteinfluencedesmédiassurlaviepolitiqueestàsensunique. Celasignifieque
lepolitiquedépenddumédiatiquequi, lui, nedépendpas dupolitique. Dans le
passé, l’autorité politiques’était toujours attachée à contrôler les médias. Cette
époqueest terminée.L’introductiondelapublicité,laprivatisation,ledéferlement des
chaînes diffusées par le câble ou le satellite empêchent les pouvoirs publics
d’exercerlamoindretutellesurl’audiovisuel.AlexandreZinoviev, pourqui lesmédias
expriment « laquintessencedelaviesocialedanstouteslesmanifestationsdesa
subjectivité », dit trèsjustement qu’ilssont « devenusunsubstitut d’Etat pour lavie
nonétatiquedelasociété »8. Larelationentrelepolitiqueet lemédiatiquenesaurait
donc serésumer àunesimpleémancipationdusecondpar rapport aupremier.
L’autoritéaseulement changédesens. Onmesurepar làcequel’expressionde
« quatrième pouvoir », souvent utilisée pour qualifier la presse, peut avoir
d’anachronique. Demêmequel’économies’est d’abordaffiméecommeuncontre-
pouvoirvis-à-visdupolitiqueavant desehisserenpositiond’hégémonie, lesmédias
ont depuislongtempscesséd’êtreuncontre-pouvoir. Le« quatrièmepouvoir »est
devenu le premier, et il n’existe plus aucun contre-pouvoir pour le contenir9.
*
Il y a plusieurs façons d’analyser le système médiatique. Le premier niveau
consiste à l’étudier comme un outil de propagande ou de désinformation. Les
exemples ne manquent pas. On se souvient des cadavres de la morgue de
Timisoaratransformésenfigurantsdelarévolutionroumaine, desbobardspropagés
durant laguerreduGolfeouencore, aumoment delaguerrecontrelaSerbie, des
massacresrebaptisés« dégâtscollatéraux »et desbombardementsdebâtiments
civilsqualifiésd’« opérationsstratégiques »10.Jen’insisterai passurcepoint, dontj’ai
déjà eu l’occasion de traiter ailleurs11.
Unedeuxièmefaçond’analyser lesystèmedesmédiasconsisteàlesconsidérer
commeuninstrument ducontrôlesocial, uninstrument du« maintiendel’ordre
symbolique »(PierreBourdieu), c’est-à-direunoutil par lequel lesystèmedominant
s’assure de la conformité du comportement des membres de la société. La
technique, eneffet, n’est jamaisneutre. Lescaractéristiquestechniquesdesorganes
decommunicationdéfinissent, nonseulement leur styleet leur contenu, maisaussi
les conditions d’exercice de leur hégémonie. Comme l’écrit Régis Debray, « la
corrélationmédiumdominant/penséehégémoniquesetraduit, àchaquestadedu
développement technique, par la correspondance existant entre la technologie
culturelle et la technologie politique d’une société »12.
Il est banal deconstaterquelesmédiassont devenusdeformidablesinstruments
àformer et conformer lesindividus : dèsledébut desannéessoixante-dix, Jean
Baudrillardpouvait écrireque« latélé, c’est par saprésencemême, lecontrôle
social chezsoi »13. Onaeneffet remarquédelonguedatecombienlatélévisiontend
àfairedisparaîtrelescontactssociaux, lesrelationsd’échangeréciproque, combien
elleplacelestéléspectateursenpositiondeconsommateurspassifs, isoléslesuns
des autres, sans vie relationnelle forte. La télévision a largement contribué au
mouvement derepli sur soi quel’onobservedepuisdeuxdécennies. Plutôt quede
sortir, d’aller au cinéma ou au théâtre, de rencontrer des amis, on regarde la
télévision. « Letriomphedulibéralisme, et ses effets sur laplace et lerôlede
l’individudanslasociété, expliquent cerepli sur lasphèreprivée. Leseffetsdeces
processusd’éclatement ont réduit leslienssociaux, qui nesetissent plusquedans
le cadre du travail et qui, avec l’émergence de la production post-fordiste,
disparaissent totalement »14.
Enmêmetempsqu’ellepousseàsecouper des autres, latélévisionsatisfait,
paradoxalement, lebesoind’évasionqui résultedecet isolement grandissant. Dans
cette culture d’évasion, qui est aussi une culture de distraction, au sens étymologique
duterme, onapuvoir un« nouvel opiumdupeupleayant chargedefaireoublier la
misèreet lamonotoniedelaviequotidienne »(GillesLipovetsky). Onconsommeen
spectaclecequelavieréellerefuse : lesexe, leluxe, l’aventure, levoyage, etc. Mais
cettedistractionn’est acquisequ’auprixd’unesorted’anesthésie, qui résultede
l’impressiond’avoir lemondechez soi, depouvoir aller partout sans bouger, de
pouvoir être au courant de tout sans avoir besoin d’une expérience vécue.
L’imaginairequeproposelatélévisionest enoutreàlafoisimposéet stéréotypé.
Lespectateur n’est pluslibredecréer sespropresimages. Il selaisseenvahir par
celles qu’on lui propose et qui se gravent dans son esprit. Ce flux d’images
permanent joueunrôledéterminant dansleprocèsdedésaffectionvis-à-visdes
grandssystèmesdesens. Il dissout lesconvictions, rendlesindividusperméables,
labiles, prêts à abandonner tout système de référence. Le lien qui unit le
téléspectateur àl’écranest denaturehypnotique. Si leprogrammenelui convient
pas, letéléspectateur nefermepassonposte, maiszapped’unechaîneàl’autre
jusqu’àcequ’il trouveunprogrammequ’il n’ajamaiseul’intentionderegarder, mais
qui retiendmieuxsonattention. Latélévisionfinit ainsi par regarder ceux qui la
regardent. Cen’est plusletéléspectateur qui fait fonctionner sonposte, maisla
télévisionqui modèlesoncomportement danslesensdel’adhésionpassive. Enne
cessant d’élargir lasphèredeladépossessionsubjective, latélévisionagit ainsi
commeunpuissant instrument d’intégrationausystèmeenplace. Dans1984de
GeorgeOrwell, tout lemondeaunpostedetélévision, maispersonnen’ajamaisle
droit del’éteindre—et personnenepeut savoir àquel moment l’organismede
diffusion se sert du poste comme caméra de télévision.
Tout cesystèmeévoqueirrésistiblement lePanopticondeJeremyBentham, dont
Michel Foucault a fait une brillante analyse en tant que métaphore d’un
redéploiement despouvoirsmodernesdanslesensdelasurveillancegénéralisée.
Audépart, lePanopticonest unsystème« pan-optique »permettant auxgardiens
d’uneprisondefaireensortequerienducomportement desprisonniersnepuisse
leuréchapper. Safonctionessentielleest d’intérioriserchezeuxlaclaireconscience
qu’ilsn’ont aucunmoyend’échapperauregardomniprésent deleurssupérieurs15. Il
y a plus d’une affinité entre ce système et la télévision.
L’avènement duréseauInternet est-il denatureàmodifiercettesituation ?Ases
débuts, Internet aétéprésentéàlafoiscommeunespacedelibertétotaleet comme
un prodigieux outil de créativité interactive. Cette interactivité était censée
transformer destéléspectateurspassifsenpartenairesactifs. Cen’était qu’àdemi-
vrai. Onconstateaujourd’hui qu’àcôtédesesavantagesévidents, la« toile »est un
espacequi offreaussi denouvellespossibilitésdesurveillancetotale, et que« le
principal défi querencontre ce type de réseau [est] celui de l’insignifiance des
messagesqui ytransitent, fautededifférenciationet dehiérarchieentreeux »16. A
biendeségards, Internet offresurtout lapossibilitéd’unelogorrhéeplanétaireàdes
gensd’autant plusaffairésàcommuniquer entreeuxqu’ilsn’ont fondamentalement
rien à se dire.
Il yaenfinunetroisièmefaçondeparler desmédiasaujourd’hui dominants, qui
consisteàtraiter dusystèmemédiatiqueentant quesystème, indépendamment
même de l’usage que peuvent en faire ses promoteurs. C’est sans doute celle qui est
la plus riche d’enseignements.
Une telle approche est d’autant plus nécessaire que le passage de la
graphosphèreàlavidéosphèreaentraînéunsaut qualitatif inédit. L’erreurclassique
consisterait ici àcroirequ’untypedemédiasenasimplement remplacéunautre.
Autrefois, ungroupesocial exerçait sonhégémoniesurlaviepubliqueencontrôlant
lesmoyensd’informationoudecommunicationet enlesutilisant pour diffuser ses
messages. Celapeut encoreseproduire, bienentendu. Maispour l’essentiel, les
chosesont changé. Lanouveautéradicaledanslavidéosphère, c’est quelemédium
dominant, enl’occurrencel’audiovisuel, n’est plusunmoyen, maistendàs’instituer
commesaproprefin. End’autres termes, les médias—endépit dunomqu’on
continueàleur donner —nesont plus, fondamentalement, desintermédiairesentre
les auteurs d’un message et les destinataires de ce message. Comme l’avait
parfaitement vuMarshall MacLuhan, ilssont eux-mêmeslemessage. Lesmédiasne
sont plusdesinstancesmédiatrices, permettant depasserd’unniveauàl’autre, d’un
état dusocial àunautre. Ilssont eux-mêmesleur proprecontenu : lanouvellen’est
autre que le porteur ou le transmetteur de nouvelles.
Il est bienvrai quelesmédiascontribuent àfaçonnerlesopinions, lessentiments
et les goûts, et qu’ils représentent de ce point de vue un extraordinaire outil
d’influence. Maisl’influencelaplusconsidérablequ’ilsexercent provient, nondece
qu’ilstransmettent, maisdeleur existencemême. Lesmédiasn’incitent pasàtant
penser quelquechosequ’ilsn’incitent àpenser àtraverslesmédias. « Lemédium
seul fait événement, a pu dire Jean Baudrillard, et ceci quels que soient les
contenus, conformesousubversifs »17. Allant encoreplusloin, RégisDebrayparleà
trèsjustetitrede« maîtrisedumédiumsur sesmaîtres, oudelamachinesur ses
mécaniciens ». « Unemédiasphère, écrit-il, est untrascendantal techniquequi fixea
priori lesconditionsdusenset del’événement àquiconqueveut s’enservir [...] Le
manipulateur des médias est le premier manipulé par eux. Car la machinerie véhicule
saproprevisiondumonde—indépendantedespartiset s’imposant àeux »18. C’est
cequeconstateégalement AlexandreZinovievquandil écrit : « Tousceuxqui se
considèrent commeleursdirigeants ouleursmanipulateurs doivent seconformer
eux-mêmes aux critères qui leur permettent de diriger et de manipuler les médias [...]
Lesmédiassont ladivinitésansvisagedelasociétéoccidentale, vénéréemêmepar
ceux qui se croient ses directeurs et ses maîtres »19.
Dansunetelleperspective, contrairement àcequ’écrit PierreBourdieu, c’est un
débat trèsvaindesavoirdequel côtésont lesmédias, ducôtédupouvoirouducôté
desmasses. Lesmédias, dit encoreBaudrillard, « nesont ducôtéd’aucunpouvoir
parcequ’ilssont unegigantesqueforcedeneutralisation, d’annulationdusens, et
nonpasuneforced’informationpositive, d’accroissement dusens. Ilsneutralisent
aussi bienlesforceshistoriquesquelesforcesdupouvoir, qui devient decefait
transparent et flottant »20.
C’est pour celaqu’il serait àlafoisnaïf et anachroniqued’analyser l’influence
médiatiqueentermes de« complot », encherchant àenidentifier les « maîtres
réels » ou les « chefs d’orchestre clandestins ». Les médias sont leurs propres
maîtres, et ceux qui croient les diriger sont en fait dirigés par eux. La « main
invisible »desmédias, cesont lesmédiaseux-mêmes. L’unanimismemédiatiquene
provient pasd’unevolontédélibéréed’appliquerpartout lesmêmesconsignes, mais
delanaturesystémique, intrinsèquement homogénéisante, dupouvoir médiatique.
Lesmédiasfonctionnent danslesfaitscommes’ilsrecevaient desinstructionsd’une
quelconquecentrale, mais il n’y apas decentrale. CommeInternet, commeles
marchésfinanciers, commelesréseauxplanétaires, leurcirconférenceest partout et
leur centre n’est nulle part. Le discours médiatique est avant tout un discours
anonyme, parcequ’il est undiscourssansoriginerepérable. Lesystèmemédiatique
est un opérateur circulaire parfait.
Lemédiumétant lui-mêmelemessage, onnepeut doncplusseborneràcritiquer
lesidéesqu’il véhiculeoulesvaleursqu’il impose. Cettecritiquedoit s’étendreaux
organes mêmes de transmission, c’est-à-dire au système qu’ils constituent.
La première observation que l’on est amené à faire est évidemment que le
systèmemédiatiqueest d’aborduneénormemachineéconomiqueet financière—et
comme tel un vecteur essentiel de l’idéologie économiste. L’univers de la
communicationmobilise, onl’avu, dessommesdeplusenplusconsidérables. Si
l’onyréfléchit uninstant, il yalàcommequelquechosedetrèsnaturel. Entant
qu’équivalent abstrait universel, l’argent est eneffet l’agent decommunicationpar
excellence. Commel’avait constatéKarl Marxdès1840, sanatureest defranchirles
frontièreset defaciliterl’échangeenenramenant lestermesàleurseuledimension
comptable. « L’argent, écrit GeorgesBalandier, exprimel’essencedessociétésoù
presquetout peut setraduireentermesdemarchandise ; deplus, il informedansun
universsocial et culturel oùl’informationest l’énergieindispensableàdesactivités
deplusenplusnombreuses, et il désigneparexcellencelerapport échangistedans
un monde qui est celui de la communication, de la multiplication rapide et de
l’intensification des échanges de toutes natures »21.
Lalogiqueinternedesmédiasest lalogiquedumarché. Cetrait est évidemment
loindeleur êtrepropre, maisil asur euxdesconséquencesspécifiques. Lavaleur
del’informationdépendait naguère, aumoins enpartie, desateneur envérité.
Aujourd’hui, « leprixd’uneinformationdépenddelademande, del’intérêt qu’elle
suscite. Cequi prime, c’est lavente »22. L’informationest devenueunemarchandise
commeles autres. Et commetoutes les marchandises, ellevaut dans lastricte
mesureoùellepeut sevendreet s’acheter. Il yaencoreundemi-siècle, lesuccès
commercial immédiat était suspect —et d’autant plus suspect que les hautes
créations culturelles, qui avaient presque toujours du mal à s’imposer, n’y
parvenaient qu’ens’opposant àlalogiquedumarché. Aujourd’hui, c’est l’inverse. Le
succèscommercial immédiat est l’objectif qui primetout. Et c’est lui qui déterminela
qualité. Cen’est pascequi est bonqui sevendbien, maiscequi sevendbienqui
est considéré comme bon — et comme d’autant meilleur que cela se vend mieux.
Oncomprendmieux, danscesconditions, lerôlecentral dévoluàlapublicité.
Celle-ci nesebornepasàassurerdesrentréesfinancièressanslesquelleslaplupart
des médias seraient déficitaires, mais constitue le modèle même du message
médiatique. D’unepart, ellecréedesautomatismesauniveaudelapensée, grâceà
deschaînesd’associationsqui échappent aucontrôledel’attention. D’autrepart, elle
instaureet stimuledès l’enfanceundésir mimétiqueorientéversl’acquisitionde
biens matériels. (Rappelons qu’à l’âge de douze ans, un enfant a déjà vu en
moyenne100000messagespublicitaires). Cettesecondefonctionest évidemment
laplus importante. Lapublicitén’est pas seulement levecteur d’uneincitationà
l’achat. Globalement, ellesert avant tout àentretenir l’idéequelebonheur, raison
d’êtredelaprésenceaumonde, seramèneouseconfondaveclaconsommation.
Ellenevisepastant àvaloriser unproduit particulier qu’àvaloriser l’acted’achat
dans sa généralité, c’est-à-direle système des produits. La publicitéincarne le
langagedelamarchandise, qui est enpassedes’instaurercommeleparadigmede
tous les langages sociaux23.
L’informationlameilleureétant cellequi sevendlemieux, lastratégiemédiatique
seconcentresur lacourseàl’audiencequi, lancéepar latélévisionavecl’audimat,
s’est étenduedeprocheenprocheàlapresse, àl’éditionet aucinéma. L’argument
publicitaireleplusclassiquetient alorsaunombredeconsommateursattiréspar un
produit. Lefait quedesmillionsdegenssoient allésvoir lemêmefilmdevient la
preuvequec’est unbonfilm. C’est leprocédéquel’onaappelél’« intimidation
majoritaire ». Parallèlement, l’étiquette« vuàlatélévision »devient àelleseuleun
argument devente : si c’est passéàlatélévision, c’est obligatoirement bon. On
remarqueraque, làencore, untel principeest antagonistedelaculture, dansla
mesureoù, pardéfinition, lesbiensculturelsnerépondent pasforcément àunelarge
demande immédiate.
Ceuxqui affirment querienn’est plusdémocratiquequel’audimat semoquent du
monde, bienentendu. L’audimat nepermet pasdemesurercequelesgensveulent,
maisdesavoir jusqu’àquel point ilsont intériorisécequ’onlesahabituésàvouloir
—cequi n’est pastout àfait lamêmechose. Lesgensaiment cequ’onleur fait
aimer. Danscedomainecommeailleurs, c’est l’offrequi déterminelademande, et
nonl’inverse. « L’audimat, écrit PierreBourdieu, c’est lasanctiondumarché, de
l’économie, c’est-à-dire d’une légalité externe et purement commerciale, et la
soumissionauxexigencesdecet instrument demarketingest l’exact équivalent en
matièredeculturedecequ’est ladémagogieorientéeparlessondagesd’opinionen
matièredepolitique. Latélévisionrégiepar l’audimat contribueàfairepeser sur le
consommateur supposélibreet éclairélescontraintesdumarché, qui n’ont riende
l’expression démocratique d’une opinion collective éclairée »24.
Lebut même du message télévisé, c’est d’atteindre « tout le monde », sans
s’interrogerni surlanaturedecequi peut atteindretout lemonde, ni surlaquestion
desavoirsi tout peut êtrevuouentendupar tout lemonde. Or, pour touchertout le
monde, il faut d’abordbaisserleniveau, et surtout n’amenerpersonneàseremettre
enquestion, c’est-à-direnepasaller àl’encontredel’air dutemps. Il enrésulteun
extraordinairerenforcement symboliquedecet air dutemps, enclair del’idéologie
dominante.
Lemessagequi atteinttout lemondecorrespondàcequePierreBourdieuappelle
lefait « omnibus » : « Lesfaitsomnibussont desfaitsqui, commeondit, nedoivent
choquer personne, qui sont sansenjeu, qui nedivisent pas, qui font consensus, qui
intéressent tout le monde, mais sur un mode tel qu’ils ne touchent rien
d’important »25. De tels faits sont le plus souvent futiles, ou simplement
spectaculaires. Leur accumulation a pour effet « de faire le vide politique, de
dépolitiser et deréduirelaviedumondeàl’anecdoteouauragot [...] enfixant
l’attentionsur desévénementssansconséquencespolitiques, quel’ondramatise
pouren“tirerdesleçons”oupourlestransformeren“problèmesdesociété” »26. Aux
Etats-Unis, lesprincipaleschaînesdetélévisionconsacrent ainsi seulement 5%de
leurtempsauxnouvellesdel’étranger.En1998,lesmédiasaméricainsont consacré
plusdetempset d’espaceauxmirobolantesaventuresdeMlleLewinskyqu’àtoutes
lesaffairesdepolitiqueétrangèredel’année. L’universalisationdepareilsmessages
relève d’une stratégie entropique. Tout discours non conforme se trouve ainsi
marginalisé, lacritiquen’étant plusadmisequesouslaformedeladérision(les
« Guignols de l’info »).
La notion de « consensus » joue ici un grand rôle. Cette notion, que les
sociologuesont toujourseuleplusgrandmal àdéfinir (cen’est ni unecatégorie
politique, ni unecatégoriejuridique, ni unecatégoriemorale), recouvreàlafois
l’idéologiedominanteet cequ’onnesaurait mettrepubliquement enquestionsous
peinedepasser pour undangereuxsubversif. Or, il est révélateur quelarecherche
du« consensus »seretrouveaussi danslechamppolitique, bienqu’ellesoit tout à
fait antagonique de la démocratie, qui suppose l’affrontement pacifié d’options
nettement différentes. D’oùcetteremarquedeJeanBaudrillard : « Leconsensus
commedegrézérodeladémocratieet l’informationcommedegrézérodel’opinion
sont en affinité totale : le Nouvel Ordre Mondial sera à la fois consensuel et
télévisuel »27.
Dans le champpolitiquecommedans lechamp médiatique, larecherchedu
« consensus »aboutit au mêmerésultat : l’indifférenciation. Dans ce qu’ona pu
appeler la démocratie d’opinion, c’est-à-dire la démocratie façonnée par les
sondages, les programmes des partis « recentrés »seressemblent au point de
devenir indiscernables sur l’essentiel. Il en va de même des journaux ou des
programmestélévisés : unarticleparudansungrandjournal pourrait paraîtredans
n’importequel autregrandjournal, uneémissiondiffuséesurunechaînepourraitêtre
programméeparn’importequelleautrechaîne. Lesjournalistespassent eux-mêmes
sans états d’âme d’un médiumà un autre. Les hommes et les contenus sont
devenus interchangeables.
Lesthéoricienslibérauxont toujoursaffirméquelaconcurrencefavoriselaqualité
et ladiversité. Maisonvoit touslesjoursqu’elleaboutit exactement àl’inverse. Non
seulement la concurrenceaboutit àlaconcentrationdu marché, qui recréedes
monopoleset desoligopoles, et àlabaissedeniveau, qui est exigéeparlacourseà
l’audience, mais elle entraîne l’uniformisation de l’offre par généralisation de la
rivalitémimétique. Leprincipemêmedelaconcurrenceobligechaquemédiumà
fairecommelesautresmédias, àtraiter desmêmessujets, àparler desmêmes
livresquelesautres. « Cettesortedejeudemiroirsseréfléchissant mutuellement
produit un formidable effet de clôture, d’enfermement mental »28.
Le « pluralisme » n’est plus alors que le déploiement du Même. Jamais la
télévisionn’aétéplusmonotonequedepuisquel’onpeut « choisir »entreplusieurs
centaines de chaînes « différentes ». Le choix n’est qued’apparence : ce qu’on
appellele« pluralisme »des médiasn’est quedelaconcurrencepilotéepar les
contraintes du marché. Or, comme l’écrit Joël Roman, « le pluralisme d’opinion
structurelechampdemanièrecentrifuge, entendant àfairediverger lesopinions, à
marquerplusnettement lesarêtes, tandisquelaconcurrencelestructuredemanière
centripète, encontraignant chacunàmimerl’autredanslebut d’obtenirleplusgrand
nombrepossibledepartsdemarché »29. Laconcurrence, depar sanaturemême,
ramèneles styles et les contenus àdes stéréotypes. C’est pourquoi les grands
médiasdisent tousplusoumoinslamêmechose, limitant dumêmecoupcedont on
a le droit de parler30.
Cettehomogénéisationdudiscoursmédiatiqueest encorerenforcée, auniveau
deshommes, par l’extraordinaireconnivenceentrelesjournalistes, lesdirecteursde
journaux, lescommentateursdetélévisionet leshommesdepouvoir, connivencequi
favorisel’autocensure, fait quelesinterlocuteursnes’affrontent plusquedemanière
convenue et renforce une complicité objective fondée sur une appartenance
commune à la Nouvelle Classe, et surtout sur des intérêts communs31.
Chaquemédiumest porté, enraisondesesdéterminationspropres, àprivilégier
unevisiondumonde, et doncuneidéologiesociale. Latélévisionétant lemédium
dominant, il enrésultequesavisiondumondes’imposeégalement commevision
dominante. Mais il nefaut pas oublier quel’informationn’est jamais donnéede
manière brute. Elle est toujours produite, construite, ce qui implique un choix
inévitable, quoiquerarement avoué32. Lesjournalistessélectionnent, consciemment
ounon, lesinformationsselonqu’ellescorrespondent ounonàleurgrille, c’est-à-dire
àlavisiondumondequelesmédiasleurimposent. C’est cequi expliqueleurtotale
incuriositépour cequi leur apparaît « horschamp ». Demême, àlatélévision, le
téléspectateurn’assistejamaisàunévénement, contrairement àcequ’il croit, maisà
lareprésentationd’unévénement, àunemiseenimages, c’est-à-direunemiseen
scène, qui impliquetoujoursunesélectionet unmontage. L’information, pourrait-on
dire, s’épuisedanslamiseenscènedel’événement, c’est-à-direenfindecompte
dans la simulation.
Un événement, par ailleurs, n’existe que pour autant qu’il est montré à la
télévision. Unévénement dont lesmédiasneparlent est (comme)unévénement qui
n’apaseulieu. Enrevanche, dèsqu’unévénement fait l’objet d’uncompterendu,
d’unemonstrationmédiatique, il peut aussi devenirunévénement d’uneautresorte,
uneévénementàunméta-niveau. Lesmédias, qui seveulent tousperformants, sont
enréalitébiensouvent « performatifs », c’est-à-direqu’ilscréent l’événement plus
encorequ’ilsn’enrendent compte—ouqu’ilsenrendent comptedefaçontelleque
celarevient àle(re)créer.Unévénement peutainsi devenirun« grandévénement »,
nonenraisondesonimportanceobjective, maisparcequedesmillionsd’individus
enont prisconnaissanceenmêmetempset ont étéportés, deceseul fait, àlui
donner uneimportancedisproportionnée. Lamort delaprincessedeGalles(« Lady
Di ») a été un exemple typique de la manière dont un fait-divers a pu être
instantanément transforméen« grandévénement »mondial, provoquant dumême
coup, àpartird’unportraittransforméenicône, desphénomènesd’hystériecollective
oud’envoûtement del’imaginaireabsolument caractéristiques. (Onvoit celaaussi
dans l’excellent film de Costa Gavras, Mad City).
D’unefaçongénérale, onpeut direquel’informationest devenueaujourd’hui àla
foissurabondanteet peucrédible. Pourtant, si l’onprendl’exempledelatélévision,
on constate qu’elle présente relativement peu d’informations : on en apprend
beaucoupmoinsenregardant unjournal téléviséd’unedemi-heurequ’enconsacrant
unedemi-heureàlalecturedesjournaux. Latélévision, enrevanche, fait reposer
l’informationsurl’image. Dansunjournal télévisé, plusdesdeuxtiersdutempssont
consacrées aux images, un tiers seulement au commentaire. Plusieurs
conséquences résultent de ce primat de l’image.
Lapremière, et laplus évidente, est que l’événement dont latélévisionrend
comptedoit pouvoir s’illustrer par l’image. Unévénement qu’onnepeut illustrer par
l’imageatouteschancesd’êtrepassésoussilence. Lecorollairequi s’endéduit est
quetoutcequi existedoit pouvoirêtremontré—c’est uneapplicationduprincipede
latechnique : tout cequi peut êtreréaliséleseraeffectivement —, tandisquecequi
nepeutêtremontrépeut àbondroit êtretenupourinexistant. Il vadesoi d’autrepart
quelameilleureimageest cellequi retient leplusl’attention, qui frappeavecleplus
de force, qui soulève l’émotion la plus intense. L’information devient dès lors
étroitement dépendantedesoncaractèreplusoumoinspectaculaire. Cetteexigence
explique par exemplelaplacedonnéepar latélévision aux « grandes causes »
humanitaires. Reposant sur lamiseenscènedelamisère, deladétresseoudu
malheur, l’humanitaireest par naturespectaculaire. Il envademêmedelaplace
donnéeauterrorisme, dont l’essor ad’ailleursétéstrictement parallèleàcelui des
médias : uneactionterroristeétant elleaussi spectaculaire, celui qui s’ylivreest
assuré que son geste recevra la publicité la plus large.
La télévision use et abuse également du témoignage (« merci de votre
témoignage »), qui ramènetout cequi est dit austatut d’uneopinionparmi d’autres,
enfeignant decroirequecestémoignagesfournissent uneffet deréalité, c’est-à-dire
attestent l’informationdont ilssont lecontrepoint. Cestémoignages, cependant, ne
sont ni spontanésni recueillisauhasard. Ilsrésultent leplussouvent d’unesélection
ou d’un montage, si bien qu’ils ne confirment jamais que les intentions ou l’opinion de
ceux qui les ont sélectionnés. On s’en rend particulièrement compte dans ces
innombrables« talk-shows »qui, faisant del’écrandetélévisionunlieud’exhibition
narcissique, permettent àtout unchacundevenir exposer l’idiosyncrasiedeses
expériencespersonnellesoudesesmalheurs, livrant ainsi auvoyeurismepublicun
déferlement demessagesémotionnelssansautrecontenuquedespointsdevue
subjectifs immédiatement soustraits au jugement.
Lasecondeconséquenceduprimat del’image, c’est quelamonstrationremplace
ladémonstration. Lejournalismeintellectuel del’après-guerrevisait àrévélerlesens
de l’événement. Le journalisme actuel vise à accumuler des faits le plus vite
possible. Lesreportagesdoivent êtrecourts, lescommentairessimples, entrecoupés
d’interviewshachéset d’élémentsanecdotiques. L’imagedoit fairechoc. Lerythme
doit êtrerapide, d’autant qu’il s’agit d’avoir l’informationavant les autres, cequi
empêchegénéralement delavérifier et interdit delamettreenperspective33. L’idéal
est quel’événement soit montréen« tempszéro »,c’est-à-direaumomentmêmeoù
il seproduit. « Nul besoindemémoire, deréférences, decontinuité, tout doit être
aussitôt compris, tout doit changer trèsvite », dit GillesLipovetsky. Alalimite, la
valorisationdudirect rendlecommentairesuperflu. Lavaleur del’informationne
résideplusni danssonimportanceobjectiveni danslasignificationqu’ellerevêt,
mais dans leseul fait qu’ellerenvoieàquelquechosequi vient d’avoir lieu. Le
journalisteneseplaceplusenpositiondecomprendre,maisenpositiondesurvol ou
de surplomb.
Latélévisionn’apar ailleursqu’unseul moyendehiérarchiser lesinformations :
par letemps plus oumoinslongqu’elleleur consacre. Mais cettehiérarchiene
reflètepas l’importancerelativeréelledechaqueinformation. Elleest elle-même
déterminée par les critères du petit écran. La télévision ne possède pas les
ressourcesdelamiseenpage, qui sont réservéesàlapresse. Elleest contrainte
d’amenertouteslesinformationsdemanièreplusoumoinssimilaire, cequi renforce
l’impression d’homogénéité.
Ducôtédutéléspectateur, cettesuccessiond’imagesencascade, renvoyant à
autant d’événements décontextualisés, favorise une consommation purement
passiveouaffectivedel’information. Demêmequ’il nepeut yavoir d’histoireen
« tempszéro », unevéritablecommunicationsupposetoujoursuneffet dedifféré, de
retardàlatransmission, dedécalageentrel’émetteur et lerécepteur, décalage
nécessaireàlaréflexionsur cequi fait l’objet mêmedecettecommunication.. Elle
supposeend’autrestermesuneprofondeur dechampquel’audiovisuel retranscrit
ensurfaceplane. Lacommunicationinstantanéen’est qu’échangedesignifiants
sanssignifiés,demessagessanscontenus. Danslamesureoùellevalorisedesfaits
sansavoirni letempsni lesmoyensdelesmettreenperspective, ellepropageune
confusionpermanenteentrevoir et savoir, entrevoir et comprendre. Latélévision
donneainsi àpenser qu’il n’ypasdedistanceentreleréel et sareprésentationpar
l’image. Dès lors, il n’y a plus de jugement possible, car le jugement nepeut
s’inscrirequedansl’écart, c’est-à-diredansunecertainerésistanceàlaperception
immédiate : cen’est pasenvoyant toujoursplusquel’oncomprendmieux, maisen
réfléchissant toujoursplus, cequeledéferlement desimagesinterdit précisément de
faire. Eninterdisant ladistanciation, l’imagetéléviséedécouragedonclaréflexion.
« Tout semblesepasser, remarqueFrançoisBrune[...] commesi l’actualitéétait
produitepour empêcher les gens d’entamer uneréflexionsur eux-mêmes et de
prendreunecertainedistanceparrapportàtout événement »34.« Quandonest privé
delapossibilitédefaireladifférenceentrecequ’onl’onvoit et cequel’onest, ajoute
Marie-José Mondzain, la seule issue est l’identification massive, c’est-à-dire la
régression et la soumission »35.
Pardéfinition, lesensn’apparaît quesurfonddenon-sens, tout commelalumière
nevaut quepar l’obscuritéqui l’entoure. Maislatélévisionneconnaît pascette
distinction. Commel’écrit RégisDebray, elle« neproposepasuneséquencede
signes, maisunfluxd’imagessanssyntaxe, unegrilledeprogrammessanslien
discursif, qui juxtaposesans hiérarchiser, sanstotaliser, sansdistinguer [...] Elle
n’est pas de nature à susciter des démarches d’abstraction ou d’inférence, de
synthèse, ni decritique[...] Ellen’est pasfaitepour transmettredesidéesni pour
produire la conviction, mais quelque chose entre l’assentiment superficiel et la
rumeursociale »36. Latélévisionnefait eneffet rienconnaîtrequesurlemodedela
rumeur. Avecelle, onnesait rien, maisonaentenduparler detout. Latélévision
fonctionnesurledoubleregistredelasurabondanceet del’équivalencegénéralisée.
D’unepart, lasurinformationaboutit aumêmerésultat quel’absenced’information.
D’autrepart, uneimageenchassel’autre, donnant l’impressionqu’ellenevaut ni
plus ni moins que la précédente ou la suivante.
Cette neutralisation résultant de l’« immédiatisme », que l’on pourrait définir
comme« lerégimed’autoritépropreauxsociétéssouscontrôlemédiatique »(Régis
Debray), cetteneutralisationpar réductionàl’insignifianceet miseenéquivalence
généralisée, est l’undestraitslesplustypiquesdusystèmeaudiovisuel. Onest ici
trèsloindelapropagandeclassique. AlaveilledelaguerreauKosovo, onavu
comment il asuffi queladécisiondestigmatiser lesSerbessoit prisepour qu’en
l’espacedequelquesheures, unepropagandeplanétairesemetteenœuvrecontre
laSerbie. Cependant, commel’asoulignéAlexandreZinoviev, « si demain, pourdes
raisonsX, lepouvoirsupranational décidait que, toutcomptefait, lesAlbanaisposent
plus de problèmes que les Serbes, la machine changerait immédiatement de
direction, aveclamêmebonneconscience »37. C’est quedansuntel système, tout
est équivalent, tout est réversible. Onpeut bienvouloir mettrel’imageauservicede
la« mémoire », l’imagen’entretiendrajamaislamémoire, parcequ’ellen’est reliéeà
aucune mémoire. Elle circule dans l’espace sans s’inscrire dans le temps, ne
provoquant l’émotion qu’un instant, avant d’engendrer l’indifférence et l’oubli.
Lesmédiaspeuvent tout justifier, précisément parcequ’ellesnefonctionnent pas
dansleregistreduvrai et dufaux. Edgar Morin, dèslesannéessoixante, avait
observé que la culture de masse rend « fictive une partie de la vie de ses
consommateurs. Ellefantomaliselespectateur, projettesonesprit danslapluralité
desuniversimagésouimaginaires, fait essaimer sonâmedanslesinnombrables
doublesqui vivent pour lui »38. Touteslesenquêteseffectuéesdepuismontrent que,
lorsqu’onl’interrogesurlasoiréequ’il apasséedevant latélévision, letéléspectateur
aleplusgrandmal àfairelapart del’information, delapublicitéet delafiction. Il
confondlesgenreset mêlelescontenus. Celanes’expliquepasseulement par un
manqued’attentiondesapart. Vladimir Volkoff dit que« letauxdevéracitéd’une
informationn’aaucuneimportance, seulecomptesontauxdevraisemblance »39. Or,
riennecréeplus lavraisemblancequel’image. L’audiovisuel nedistillepasdes
vérités, maisdescertitudesliéesàl’apparence,descertitudesémotionnellesqui sont
del’ordredusemblant. Il fait fusionner principedeplaisir et principederéalitéen
fictionnant le réel. Parallèlement, le critère de vérité cède la place au critère
d’efficienceou, plusexactement, dereprésentabilité. Dansunmondeoùl’« opinion »
est reine, lavérité(politique, philosophique, religieuseouautre) devient elle-même
uneopinionparmi d’autres. Commeledisait JacquesEllul, « il n’yapasvraiment
d’information à la télévision, il n’y a que de la télévision ».
Joël Romanadesoncôtétrèsbienmontréladifférenceexistant entrelalogique
delacommunicationet cequedevrait êtreunesainelogiquedel’information. « Là
où la logique de l’information est commandée par trois choses, la vérité de
l’informationtransmise(c’est-à-direàlafoissaconformitéauréel et savérification),
l’importance de l’information (son rôle, sa fonction), et enfin la nature des
destinataires (ceux auxquels elle peut être nécessaire ou utile), écrit-il, la
communicationproposechaquefoisunglissement decesnotionsqui entransforme
complètement lesens. Alaplacedelavérité, onalacrédibilité, c’est-à-direl’effet de
réel susceptibledeproduireuneinformation[...] ; plusquesonimportanceentant
quetellecomptesapositiondanslarhétoriquedéployée[...] ; et enfin, lepublic
importeici quantitativement : lavaleur d’uneinformationcroissait tout àl’heureen
fonctiondesonimportancestratégique, doncàlalimiteenfonctiondelararetédu
public, tandisquedésormais, c’est soninsignifiancequi laqualifie, danslamesure
où elle doit idéalement intéresser tout public »40.
Quandlacrédibilitéremplacelavérité, et quel’intensitédel’effet produit par le
messageprendplusd’importancequelemessagelui-même, cequi enrésulten’est
paslemensonge,maisundiscoursoùvéritéetmensongedeviennentéquivalentsou
interchangeables. On ne peut pas dire, de ce point de vue, que la télévision
« mente » : ellepropagesimplement undiscoursqui est au-delàduvrai commedu
faux. C’est cequeJeanBaudrillardappellela« logiquehyperréalistededissuasion
duréel parlevirtuel ».Levirtuel l’emportesurleréel ensedonnant commeplusréel
queleréel. Levirtuel, « c’est unmondesansrésistance, unmondefluide, ductile,
maniable, opérableet combinableàmerci, bref, unmondedématérialisé »41. Tout le
systèmemédiatiqueparticipedecegrandmouvement postmodernequi met finau
sensenredoublant leréel par sessignes, qui fait divorcer lesigneet lesensen
introduisant partout le simulacre et la simulation.
Noussommesdoncdansunmondeoùil yadeplusenplusd’information, et de
moinsenmoinsdesens. Maisceseraituneerreurdecroirequel’informationn’arien
àvoiraveclasignification, quecesont deuxmodèlesopérationnelsd’ordredifférent.
Cetteconcomitancen’aenréalitériend’hasardeux. « Il yacorrélationrigoureuseet
nécessaireentrelesdeux, dit encoreBaudrillard, danslamesureoùl’informationest
directement destructrice ou neutralisatrice du sens et de la signification. La
déperdition du sens est directement liée à l’action dissolvante, dissuasive, de
l’information, desmédias »42. L’informationin-forme, c’est-à-direqu’ellerendinforme,
qu’ellesupprimetouteforme. Ellefait imploser lesens. Or, dissoudrelesens, c’est
aussi dissoudre et déstructurer le social, le ramener lui aussi à l’entropie.
Endernièreanalyse, l’idéal delacommunicationpourrait sedéfinir commeun
idéal de transparence, que Jean Lacouture a pu définir comme « une forme
relativement doucedebarbarie »43. Cet idéal viseàsupprimer tout cequ’il peut y
avoir d’opaqueet de« rugueux »danslesrapportssociaux. Joël Romanparleàce
proposde« philosophiedelacommunicationsansreste, sansparasites, sanslest
d’aucunesorte »44. Al’arrière-plan, onretrouvel’idéedes Lumières d’unespace
ouvert àladiscussionrationnellecommemodèledel’espacepublic, idéereprisepar
JürgenHabermasaveclanotiondetransparencecommeconditiondepossibilitéde
l’agir communicationnel. Le rêve d’une communication totale rejoint celui d’une
concurrencepureet parfaite, d’uneviepubliquesansinstancesdepouvoir, d’une
économiesansrareté, d’unesociétéconçuecommeunimmenseaquarium. C’est un
idéal fondamentalement nihiliste. Maisc’est aussi unidéal totalitaire, danslamesure
où il est porté par un système qui se veut d’emblée planétaire.
Pour caractériser cenouveautotalitarisme, qu’onpourrait caractériser commeun
système d’oppression sans oppresseur, Paul Virilio a forgé le terme de
« globalitarisme ». Laprincipalecaractéristiquedecetotalitarismeest eneffet qu’il
s’inscrit dans uneperspectiveglobale, planétaire, dans laquelleil n’y aplus de
différenceentrel’intérieur et l’extérieur. Lesystèmemédiatiqueseveut lui aussi un
monde sans extérieur. Contrairement aux anciens totalitarismes, qui n’exerçaient leur
pouvoirquesurunepartieduglobe, permettant àleursadversairesdeseregrouper
ailleurs, il s’étend à toute la planète et en fait un univers clos sur lui-même.
*
L’explosiondusystèmemédiatiquemarquel’entréedansuneèreoùcen’est plus
seulement lepouvoirpolitiquequi menaceleslibertés, ainsi qu’il l’atoujoursfait dans
le passé, mais bien plutôt les pouvoirs privés. Tout comme les grandes
multinationales, lesprincipauxmédiass’emploient avant tout àfaireensortequeles
normesprivéesdeviennent lesnormespubliques. Maislacontraintequi enrésulte
est d’une nature différente. Alors que l’ancienne censure relevait d’un système
d’interdit, lanouvelleémaneparadoxalement d’unsystèmedeliberté. Cettenouvelle
« censur »enevisepastantàempêcherl’expressiond’uneopinion, mêmesi celase
fait encore couramment, qu’à délégitimer toutes les opinions en tant qu’elles
signifient quelquechose,c’est-à-direàréduireaunon-senstoutcequi seproposede
faire sens.
Alalimite, vouloir seservir desmédiaspour fairepasser unmessagetémoigne
encored’uncertainoptimisme. Quandrienn’aplus d’importance, quandtout est
devenuinsignifiant, untel messageest assuréderester sanseffets. C’est ceque
constateencoreJoël Romanquandil écrit : « Pourquoi censurersi lebruit detant de
messages accumulés vient vider desonsens legestesubversif, si touteparole
dissonanteest destinéeàs’abîmer dansuninterminablebavardage[...] Pourquoi la
libertési celle-ci sevidedesoncontenu, si pouvoirparlers’obtientauprixdeneplus
riendire ?Qu’est-cequi nousmenacedavantage, est-celeciseauducenseur ou
bienlaredondantemaréedediscoursqui nedérangent pluspersonnefautede
pouvoir émerger dubruit ? »45. Onsesouvient decequ’avait dit Soljénitsyne, après
avoirpasséquelquesannéesenAmérique :« J’ai vécunaguèredansunsystèmeoù
l’onnepouvaitriendire, jesuisarrivédansunsystèmeoùl’onpeuttout direet oùça
ne sert à rien ».
Cequi aenfait leplus disparu, c’est lerapport critiqueentreles médias et
l’idéologiedominante. Danslepassé, lorsquel’onhabitaitencorelagraphosphère,le
livre et le journal possédaient au moins une vertu critique, qui mobilisaient les
censeurs. Ce rôlen’est plus tenu désormais quedans des cercles minuscules.
Aujourd’hui, l’audiovisuel destituelepolitiquesansmêmeavoirbesoindelecritiquer
oudechercheràleréfuter. C’est lesigneindubitablequelesmédiasnesont plusun
contre-pouvoir, mais qu’ils sont bel et biendevenus lepremier pouvoir. S’il y a
parfaiteconsonanceentrelesystèmedes médias et l’idéologiedominante, c’est
qu’ils se pénètrent et s’appuient l’un sur l’autre, se confortant ainsi mutuellement.
Il n’yaévidemment pasderemèdemiraclepour changer unetellesituation. Le
meilleur remèdeest sansdoutedeprendrel’exactemesuredusystèmemédiatique
et denepassetromper sur sanature. Lemeilleurremèdeest aussi desortir dece
systèmeet desazoned’influence. Il est probablequel’onverraàl’avenirdeplusen
plusdemouvementsoudemobilisationsnaîtreendehorsdusystèmedesmédias.
Le plus grand risque pour eux sera d’être récupérés par ce système. Dans
l’immédiat, onpeut aumoins former des poches derésistanceet regrouper les
espritsrebelles. Onpeut proclamerledroit àl’opacité, ledroit ànepastout savoir, le
droit au silence. Mais il faut se dire aussi que tout ce qui existe meurt de ce qui l’a fait
naître. Lesystèmemédiatiquen’échapperaàcetterègle. Il sedétruiralui-même
sousl’effet desapropreinflation. Plusunsystèmegrossit, plusil devient fragile.
C’est aussi l’undestraitsdelamondialisation. « Plusserenforcel’hégémoniedu
consensusmondial, dit encoreJeanBaudrillard, plusgrandissent lesrisques, oules
chances, de son effondrement »46.
A. B.
1. Cf. Philippe Breton, L’explosion de la communication, Découverte, 1993.
2. « Le nouvel ordre américain global », in Politis, 8 juillet 1999, p. 36.
3. « Cetteformedepropagande, écrit Paul Virilio, meparaît plusdangereusequecelledesnazis
oudescommunistesdanslamesureoùellecréeuneseconderéalité, uneréalitévirtuelleglobaleet
uniformisantequi sesuperposeàlavraieréalité[...] Il est possibledésormaisderépandrelemême
messagesurl’ensembledelaplanèteavecuneforcedepromotiontellequelemessageest capable
de remplacer la réalité » (« L’avènement du “globalitarisme” », in Catholica, hiver 1999-2000, p. 47).
4. Régis Debray, Traité de médiologie, Gallimard, 1991.
5. Cf. DominiqueWoltonet Jean-LouisMissika, Lafolledulogis. Latélévisiondanslessociétés
démocratiques, Gallimard, 1983 ; Jacques Piveteau, L’extasedelatélévision, Insep, 1984 ; Neil
Postman, Se distraire à en mourir, Flammarion, 1986.
6. Nouvelles et dessins contre la télé, Réflex, 1999, préface.
7. Liliane Lurçat, Vie et santé, juin 1992.
8. AlexandreZinoviev, Lagranderupture. Sociologied’unmondebouleversé, L’Aged’homme,
Lausanne 1999, pp. 63 et 67.
9. Cf. GeorgesKiejman, « Quel contre-pouvoir auquatrièmepouvoir ? », inLeDébat, mai-août
1990.
10. Sur la désinformation pendant la guerre du Golfe, cf. Alain Woodrow, Information,
manipulation, Félin, 1991 ; DominiqueWolton, War Game, Flammarion, 1991 ; JeanBaudrillard, La
guerreduGolfen’apaseulieu,Galilée,1991. Surladésinformationpendant laguerreduKosovo, cf.
Vladimir Volkoff, Désinformationflagrant délit, Rocher, 1999 ; Paul Virilio, Stratégiedeladéception,
Galilée, 1999 ; FrançoisChesnais, TaniaNoctiummeset Jean-PierrePage, Réflexionssurlaguerre
enYougoslavie, Esprit frappeur, 1999 ; Maîtresdumonde ?LesdessousdelaguerredesBalkans,
Temps des cerises, 1999 ; Croyances en guerre. L’effet Kosovo, n° spécial des Cahiers de
médiologie, 2e sem. 1999. Unexempleflagrant demanipulationaétédonnéaudébut dumoisde
janvier 2000par laFrankfurter Rundschau, qui arévéléqu’aprèslebombardement par lesavions
américainsd’untraindecivilsle12avril 1999, surunpont situéprèsdeGrdelickaKlisura, enSerbie,
lesdirigeantsdel’OTANn’avaient pashésitéàmontrer àlapresseunenregistrement filméoùla
vitessedesimagesavait étémultipliéepar trois, donnant ainsi l’impressionqueletrainavait fait
brusquement irruptionàgrandevitessesur lepont, cequi aurait empêchéledétournement des
missiles, alorsqu’enréalitéil avançait àvitesseréduiteet avait doncêtreprisconsciemment comme
cible du pilonnage.
11.Cf. AlaindeBenoist, PhilippeConrad, GüntherMaschkeet al., Nonàlacensure ! Delapolice
de la pensée à la Nouvelle Inquisition, GRECE, 1998 (Actes du XXXIe Colloque national, 30
novembre 1997). Cf. aussi Le lynchage médiatique, n° spécial de Panoramiques, 4e trim. 1998.
12. Régis Debray, Cours de médiologie générale, Gallimard, 1991, p. 302.
13. Jean Baudrillard, Pour une critique de l’économie du signe, Gallimard, 1972.
14. Nouvelles et dessins contre la télé, op. cit., préface.
15. Cf. Zygmunt Bauman, Le coût humain de la mondialisation, Hachette-Littératures, 1999, p. 78.
16. Joël Roman, « Lesmédiascontrel’espacepublic », inLadémocratiedesindividus, Calmann-
Lévy, 1998, p. 69. « Ni lasegmentationdumarchéni laproliférationdelaparolesauvagenesontles
antidotesàlamassificationet àl’uniformisationdel’espacepublic : ilsensont plutôt lacontrepartie,
lessous-produits », écrit encoreJoël Roman, avant d’évoquerune« proliférationdeparolesd’autant
plussubjectivesqu’ellessont excluesdel’espacepublicet interditesdeconfrontation », qui « se
perdent alorsdansl’inarticulé, oubiensombrent dansl’encodaged’unenichetechnique »(ibid., p.
93). Toujoursàproposd’Internet, DominiqueWoltonremarque : « Si leprogrèstechniquesuffisait à
améliorerlacompréhensionentreleshommeset lessociétés, celaseserait vudepuisunsiècle : les
progrès des techniques de communication ont été gigantesques, sans pour autant créer une
meilleurecompréhensionentreleshommes »(« Del’Internet et des hommes », inLibération, 14
janvier 2000, p. 6).
17. Jean Baudrillard, Simulacres et simulation, Galilée, 1981, p. 125.
18. Régis Debray, Cours de médiologie générale, op. cit., p. 320.
19. Alexandre Zinoviev, op. cit., p. 67.
20.JeanBaudrillard, « Lasociologie ?Unethérapeutique », inLeMagazinelittéraire, juin1981, p.
68.
21. Georges Balandier, Le désordre, Fayard, 1988, p. 228.
22. Ryszard Kapuscinski, « Les médias reflètent-ils la réalité du monde ? », in Le Monde
diplomatique, août 1999, p. 8.
23. Cf. François Brune, Lebonheur conforme, Gallimard ; Lesmédias pensent commemoi !
Fragments de discours anonyme, L’Harmattan, 1997.
24. PierreBourdieu, Sur latélévision, Liber-Raisonsd’agir, 1996, p. 78. Cf. aussi Jean-Claude
Guillebaud, « Crisedesmédiasoucrisedeladémocratie ? », inLeDébat, septembre-octobre1991 ;
RolandCayrol, Médiaset démocratie : ladérive, PressesdelaFondationnationaledessciences
politiques, 1997.
25. Ibid., p. 16.
26. Ibid., p. 59.
27. Jean Baudrillard, La guerre du Golfe n’a pas eu lieu, op. cit., p. 97.
28. Pierre Bourdieu, op. cit., p. 25.
29. Op. cit., p. 91.
30. « Onaledroit detout dire, mais àconditiondeparler delamêmechose », constatent
Florence Aubenas et Miguel Benasayag, La fabrication de l’information, Découverte, 1999.
31. Cf. àcesujet lestravauxdeSergeHalimi, « Unjournalismederévérence », inLeMonde
diplomatique, février 1995 ; Les nouveaux chiens de garde, Liber-Raisons d’agir, 1997 ; « Un
journalismederacolage », inLeMondediplomatique, août 1998. Cf. aussi Jean-FrançoisRouge,
« Le journaliste au risque de l’argent », in Esprit, décembre 1990.
32. Jean Daniel écrit cependant : « Oui, c’est vrai, nous passons notre vie à pratiquer
l’autocensure. Oui, nousconsacronsunepartiedenotreexistenceàchoisir lesvéritésqui nous
semblent bonnes à dire » (« Notre beau métier », in Le Nouvel Observateur, 14 octobre 1999, p. 56).
33. Danslapresse, laconcurrencepour laprioritédel’informationaceci dedérisoirequeles
« scoops »sont rarement perçuscommetels, pour lasimpleraisonquelamajoritédeslecteursne
lisent qu’unseul journal et nesont doncpasenmesurederéalisersi celui qu’ilslisent publieplusou
moinsd’informations« exclusives »quelesautres. Seulslesjournalisteslisent touslesjournaux,
rappelle Pierre Bourdieu.
34. « Un bonheur si conforme », in No pasaran !, décembre 1999, p. 20.
35. Le Monde, 8 septembre 1998.
36. Régis Debray, Cours de médiologie générale, op. cit., p. 321.
37. Alexandre Zinoviev, op. cit., p. 102.
38. Edgar Morin, L’esprit du temps, vol. 1, Grasset, 1962, p. 238.
39. Vladimir Volkoff, Désinformation flagrant délit, op. cit.
40. Joël Roman, op. cit., pp. 87-88. Cf. aussi Daniel Bougnoux, La communication contre
l’information, Hachette, 1995 ; Dominique Wolton, Penser la communication, Flammarion, 1997.
41. AlainFinkielkraut, « Auxamoureuxdutroisièmemillénaire », inLibération, 15-16janvier2000,
p. 5.
42. Jean Baudrillard, Simulacres et simulation, op. cit., p. 123.
43. Jean Lacouture, « Contre la transparence », in Panoramiques, 4e trim. 1998, p. 206.
44. Joël Roman, op. cit., p. 84.
45. Ibid., p. 69.
46 Jean Baudrillard, La guerre du Golfe n’a pas eu lieu, op. cit., p. 100.
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